Le conseil d’administration (CA) est l’organe de direction qui a pour mission de définir la stratégie d’une entreprise, en anticipant notamment les prises de risque à venir. Le CA est donc en première ligne quant aux enjeux du réchauffement climatique. Cependant, une récente étude met en lumière le manque de préparation des entreprises sur ce sujet dont elles auront pourtant à subir les conséquences à très court terme. La problématique ? Un décalage entre le discours et les actions ainsi qu’un optimisme démesuré. Dans certains cas, c’est le CA lui-même qui devient un frein au changement.
Fin 2021, le cabinet de conseil Heidrick & Struggles et l’Insead ont réalisé une étude appelée « Changing the Climate in the Boardroom ». L’enjeu de cette enquête ? Comprendre comment les conseils d’administration des entreprises se préparent au réchauffement climatique et définir leur prise en compte de la décarbonation dans leurs stratégies. « L’attentisme des Conseils est d’autant plus problématique que la cause climatique nécessite de sensibiliser le haut de la pyramide, sans quoi, elle n’a aucune chance d’être prise en compte » affirme Martin Richer, consultant en RSE dans un article qu’il a publié en mai 2022 sur son site internet. Pourtant les résultats de l’enquête sont sans appel : les entreprises ne sont pas préparées à l’urgence climatique alors même qu’elles auront à en subir les conséquences à très court terme. Il est donc nécessaire que les conseils d’administration impulsent le mouvement : « La première pierre de cet édifice [de la RSE], ce sont les dirigeants d’entreprise. (…) Si la gouvernance de l’organisation est impliquée, alors elle irriguera toutes les parties prenantes » expliquait en 2021, lors d’un événement consacré au sujet, le président du Cercle de Giverny, Romain Mouton, dont Martin Richer rapporte les propos.
Certes, l’étude révèle que les conseils d’administration ont conscience du défi climatique. Par exemple, on apprend que 75 % des administrateurs prennent en compte le réchauffement climatique dans la mise en place de leur stratégie et presque autant constatent qu’ils sont en mesure d’atteindre leurs objectifs quant à la maîtrise du réchauffement climatique au sein de leur entreprise.
« Mais ces motifs d’optimisme sont des leurres (…) Comme l’affirment justement les auteurs de l’étude H&S et Insead, « nous avons trouvé de multiples preuves qui montrent que cette confiance des administrateurs est excessive, à moins que les objectifs définis par leur entreprise ne soient pas assez ambitieux » » écrit Martin Richer dans son article. En effet, l’enquête note un fossé problématique entre les discours et les actes, entre la prise en compte du problème et sa résolution. Par exemple, 43% des administrateurs n’ont pas d’objectif précis en matière de décarbonation et seules 16% des entreprises incluent leurs fournisseurs et leurs clients dans leurs objectifs de réduction d’émission de carbone. Une récente étude de Moody’s ESG Solutions montre même que seules 3 % des entreprises interrogées ont pour objectif de ne plus émettre de carbone en 2050. Pourtant, « la France s’est fixée des objectifs de neutralité carbone à horizon 2050. Cet objectif est clairement menacé puisqu’au rythme de baisse des émissions des 10 dernières années, cet objectif ne serait atteint qu’en 2130 » rappelle Martin Richer.
Avec le soutien de l’ONG Carbon Market Watch, NewClimate Institute a publié une étude début 2022 qui souligne le décalage entre la réalité et l’optimisme des entreprises. On y apprend que 25 des plus grandes entreprises internationales ne réduiront que de 40 % leurs émissions carbone par rapport à 2019, bien loin des objectifs de neutralité carbone. « Nous avons cherché à découvrir autant de bonnes pratiques reproductibles que possible, mais nous avons été franchement surpris et déçus de l’intégrité globale des affirmations des entreprises. Alors que la pression sur les entreprises pour qu’elles agissent contre le changement climatique augmente, leurs affirmations ambitieuses manquent trop souvent de substance réelle, ce qui peut induire en erreur à la fois les consommateurs et les régulateurs qui sont essentiels pour guider leur orientation stratégique. Même les entreprises qui s’en sortent relativement bien exagèrent leurs actions. » explique Thomas Day du NewClimate Institute dans un article du site d’information Novethic.
Certes, les outils de comptabilité carbone sont encore complexes à mettre en place. Mais le problème ne vient pas uniquement de la méthodologie. L’étude H&S et Insead nous apprend que presque la moitié des entreprises avouent que leur CA possède une trop faible connaissance des conséquences du réchauffement climatique sur leurs résultats financiers et que 85 % des administrateurs affirment qu’ils auraient besoin d’approfondir leurs compétences sur le sujet de l’urgence climatique. Le « baromètre grandes entreprises » publié par Eurogroup Consulting en janvier 2019 montre même que seuls 24% des dirigeants des grandes entreprises françaises jugent préoccupant le risque du réchauffement climatique alors que 33% d’entre eux l’estiment faible.
« Le manque de compétences au sein des Conseils est l’un des facteurs explicatifs des écarts béants entre les horizons très lointains assignés aux objectifs environnementaux (par exemple, la neutralité carbone en 2050) et le court terme des mesures à prendre dès maintenant, qui ne sont clairement pas au rendez-vous » conclue Martin Richer.