La sobriété se traduit par le fait d’imposer des limites, de faire moins pour faire mieux. Comment cet objectif, jugé indispensable par les experts du réchauffement climatique, peut-il se concrétiser dans nos sociétés industrialisées ?
La sobriété se traduit par le fait de s’imposer des limites. Elle est une forme de tempérance. Loin d’être une idée nouvelle, c’est une notion ancienne partagée par de nombreuses civilisations. Selon Vincent Liegey, ingénieur et co-auteur de l’ouvrage Sobriété (la vraie), dont les propos sont rapportés dans un article du magazine GoodPlanet en mars 2023, la « vraie sobriété » est souvent négligée depuis que le terme est médiatisé.
« La sobriété appelle donc à faire moins pour vivre plus heureux. Il reste encore à définir individuellement et collectivement ce qu’on met derrière ce moins » explique ce dernier. Selon lui, la sobriété n’a pas sa place dans une société de croissance sans remise en question de nos modèles économiques et imaginaires. La publicité par exemple, omniprésente dans les médias, est pointée du doigt pour diffuser l’idée selon laquelle la réussite est liée à la consommation, alors même que les médias commencent à mettre en avant les crises écologiques et sociales engendrées par nos modèles économiques. « C’est faire moins afin d’arriver à faire mieux pour mieux vivre grâce à plus de convivialité et d’autonomie. Faire moins ne doit pas être vécu comme une tragédie, mais doit, au contraire, se vivre comme une libération. » ajoute Vincent Liegey.
Un autre expert, Timothée Parrique, économiste et auteur de Ralentir ou Périr : l’économie de la décroissance, considère la croissance comme un frein écologique majeur et appelle à une réduction équitable de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique. Dans un article du site d’information Novethic publié le 17 janvier 2024, l’économiste compare cette obsession à quelqu’un voulant perdre du poids tout en cherchant toujours à manger davantage, soulignant que cette quête de croissance conduit à des sacrifices environnementaux et humains sans améliorer réellement le bien-être global. « Une économie performante n’est pas une économie qui fait grossir bêtement son revenu national ; c’est une économie qui parvient à contenter les besoins de sa population de la manière la plus parcimonieuse possible. » précise-t-il.
S’interrogeant sur la préparation des acteurs économiques à la sobriété, Timothée Parrique insiste sur la nécessité d’une planification sophistiquée. Il propose de renforcer la démocratie économique en transformant les entreprises en coopératives, en décentralisant la gouvernance à l’échelle municipale, en organisant des conventions citoyennes et d’entreprise, en encourageant la gestion de ressources partagées et en limitant le pouvoir des actionnaires pour donner plus de pouvoir d’agir aux usagers. La réduction des inégalités est en tout cas selon lui une condition préalable et indispensable.
Le rapport au travail est également exploré par Vincent Liegey. D’après l’ingénieur, dans une société sobre, la notion du temps de travail doit être revue. Ralentir devient un enjeu pour gagner en autonomie et pour produire ce qui est nécessaire. Le mode de vie actuel nous contraint à l’inverse à utiliser le numérique, à manger des aliments industriels et à ne pas être en capacité de réparer les objets du quotidien. La sobriété implique donc moins de production marchande et de travail, mais cela ne signifie pas l’absence d’activités utiles. Il est nécessaire de supprimer la vision marchande du travail et de revaloriser toutes les formes d’activités essentielles en inventant une société qui ne s’organise plus exclusivement autour des huit heures de travail quotidiennes, dénuées de sens pour beaucoup.
Pour réussir, il est crucial de remettre en question le modèle productiviste. Il explique : « Il convient d’en finir avec le toujours plus. Ce dernier n’a plus de sens et il faut apprendre à faire différemment. Par exemple, une fois qu’une entreprise qui fabrique des vélos cargos en a produit assez pour répondre aux besoins fondamentaux, il lui faut alors réorienter son activité vers la maintenance, la réparation et le renouvellement régulier à petite échelle des flottes en fin de vie, plutôt que de viser année après année plus de 10 % de ventes . Ainsi, on pourrait redonner du sens aux métiers. »
Pour conclure, Timothée Parrique admet la nécessité de renoncements inévitables étant donné l’insoutenabilité écologique actuelle : « Préférons-nous une décroissance choisie et maîtrisée aujourd’hui ou bien un effondrement subi et inéquitable demain ? »