Face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les grands groupes sont confrontés à un choix cornélien : quitter la Russie ou y continuer leurs activités. Les entreprises tenues de suivre leurs engagements RSE se risquent au mieux à des critiques, au pire à des poursuites judiciaires en demeurant sur le territoire russe. Mais se pose également la question des retombées économiques ou des conséquences sur le peuple russe en cas de retrait.
« Je crois qu’il y a désormais un problème de principe à travailler avec toute personnalité politique ou économique proche du pouvoir russe » s’indignait sur franceinfo au début du mois de mars le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, en faisant référence au groupe TotalEnergies. En effet, l’entreprise a récemment annoncé qu’elle ne souhaitait pas quitter la Russie même si elle affirme condamner la décision russe et déclare qu’elle ne financera plus de nouveaux projets dans le pays. Pourtant, ses concurrents comme BP et Shell, ou d’autres groupes majeurs tels que Volvo, Ford, Apple ou Disney, ont pris une décision contraire en cessant toute activité avec la Russie.
« C’est à Total d’apprécier la balance des risques » nuance le ministère de l’Économie, suite au discours du ministre, dont on peut lire les propos sur le site d’information Novethic. Et pour cause, les enjeux financiers sont colossaux car pas moins de 17 % de sa production de pétrole et de gaz se situent en Russie. « Les sanctions peuvent avoir un impact sur les entreprises européennes, nous avons un dialogue étroit avec elles pour analyser les difficultés auxquelles elles peuvent être confrontées » explique ainsi Bercy, à l’image de Décathlon qui suit de près l’évolution de la situation et prendra en compte les directives de l’État français.
Greenpeace France et Les Amis de la Terre France ont envoyé courant mars un courrier à TotalEnergies mettant l’entreprise en demeure de cesser toute activité sur le territoire russe à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Les deux ONG menacent notamment le groupe de poursuites judiciaires, en s’appuyant sur une loi de 2017 relative au devoir de vigilance des multinationales. Elles jugent que le plan de TotalEnergies est « particulièrement incomplet et insuffisant » et le somment de « cesser dans les plus brefs délais toute relation d’affaires et commerciale dans le secteur pétro-gazier susceptible d’alimenter les violations des droits humains et libertés fondamentales par la Russie », peut-on lire dans un article des Echos daté du 15 mars.
Et en effet, au-delà des conséquences sur sa réputation, toute entreprise prenant la décision de demeurer sur le territoire russe prend également le risque de se confronter à des sanctions judiciaires. « Une entreprise ne peut pas avoir d’activité dans un pays qui viole le droit international sinon elle fait un choix politique qui l’expose. Ce sujet n’est pas nouveau. (…) La RSE s’est développée dans les entreprises pour réagir aux problèmes de la mondialisation et répondre aux enjeux environnementaux et aux droits sociaux » indique Patrick D’Humière, enseignant à CentraleSupélec, au site d’information Novethic.
La question se pose également pour les grands groupes agro-alimentaires qui sont implantés de manière importante sur les territoires russes et/ou ukrainiens et dont les activités permettent de répondre aux besoins primaires des populations locales. C’est le cas de l’entreprise Lactalis qui a décidé de maintenir en activité ses usines en Russie et qui en parallèle s’active pour collecter autant que possible le lait en Ukraine. C’est le cas également de Veolia qui transmet l’eau potable de plusieurs villes russes.
« La situation est inextricable. Il faut en même temps tout faire pour que cette guerre cesse immédiatement et ne pas trop punir le peuple Russe qui n’est pour rien dans la folie de son dirigeant » indique à Novethic Fabrice Bonnifet, directeur du développement durable de Bouygues et président de C3D, une association créée en 2007 qui réunit plus de 200 directeurs du développement durable et de la RSE d’entreprises.
Il faut donc que les entreprises fassent un choix cornélien, tout en sachant que les conséquences seront désastreuses au niveau social et économique, peu importe la solution retenue. Une chose est néanmoins certaine, le modèle de production des entreprises devra être revu car la mondialisation, notamment en matière de production et d’approvisionnement, montre ici ses limites.