La santé au travail, bien que fondamentale, semble être reléguée à l’arrière plan des stratégies RSE, masquée par des préoccupations immédiates telles que l’urgence climatique. Elle est souvent réduite à une question juridique et surtout nécessiterait d’être intégrée dans une démarche RSE plus large avec des objectifs mesurables et tangibles, l’absence d’indicateurs exhaustifs notamment étant problématique.
« Le nombre d’entreprises ayant engagé des démarches RSE ne fait que croître, ce qui pourrait être une bonne nouvelle pour la santé au travail qui en est un des piliers. Or, force est de constater que c’en est le parent pauvre, éclipsé par les engagements climatiques et grevé par le manque d’une approche globale de la santé physique et mentale des travailleurs. » peut-on lire dans un article du site d’informations Carenews, publié le 20 novembre 2023.
Bien que les critères sociaux de la RSE, définis par la norme ISO 26000, englobent la promotion de la santé et du bien-être au travail, ces aspects ne reçoivent pas toujours l’attention nécessaire dans les initiatives RSE observées. La santé au travail est plutôt abordée comme une question de gestion des risques juridiques pour encadrer les litiges.
Les auteurs de l’article se demandent si la prise en compte de la santé au travail dans les stratégies RSE ne serait pas problématique, en évoquant le fait que le domaine de la santé est soumis à de nombreuses normes perçues comme contraignantes. Cette perception pourrait expliquer la faible intégration de la santé au travail dans les démarches RSE. Pourtant, d’autres thèmes bénéficiant d’une meilleure prise en compte sont tout autant contraignants, tels que l’égalité femmes/hommes.
En tout cas, « l’application des normes permet certes de corriger, rééquilibrer ou réparer les effets préjudiciables induits par l’activité de l’entreprise sur la santé, mais elle ne permet pas de répondre à tous les enjeux de responsabilité que se proposent d’atteindre les démarches RSE. L’intérêt de positionner la santé au travail comme axe essentiel de toute démarche RSE est donc réel si l’organisation souhaite rechercher un impact tangible et positif. » précise Carenews.
Le concept juridique de QVT (Qualité de Vie au Travail), défini par un accord interprofessionnel en 2013 et appelé aujourd’hui QVCT (Qualité de Vie et des Conditions de Travail), est également contesté en matière de santé au travail. Bien que la QVCT puisse potentiellement être un élément intégrateur de la santé au travail dans le cadre de la RSE, son utilisation varie considérablement d’une entreprise à l’autre. Les accords d’entreprise conclus sur la QVCT ne sont pas légalement tenus d’adopter la définition initiale de la QVCT, créant ainsi une diversité d’approches, certaines mettant l’accent sur la santé au travail, tandis que d’autres se limitent à des aspects tels que l’articulation vie personnelle/vie professionnelle. « Les organisations ont souhaité s’inscrire dans cette démarche d’une part, pour attirer les salariés, et d’autre part, pour accroître leurs performances économiques considérant que des salariés se « sentant bien » au travail sont plus efficaces. » ajoutent les auteurs de l’article.
En revanche, malgré ces approches hétérogènes, la QVCT pourrait constituer un levier intéressant pour aborder les enjeux de la santé au travail, à condition d’être intégrée dans une démarche RSE plus large avec des objectifs mesurables et tangibles.
L’accord interprofessionnel de décembre 2020 élargissant la QVT à la QVCT a été intégrée dans le Code du travail, mais son impact réel sur la santé au travail reste à évaluer. D’autres changements législatifs obligent désormais les employeurs à évaluer les risques liés à l’organisation du travail, soulignant l’importance de la prévention.
Malgré ces avancées, il reste nécessaire de positionner la santé au travail comme un axe central de toute démarche RSE, ce qui implique le fait de se doter d’une méthodologie et d’indicateurs pour mesurer l’impact réel de ces initiatives. « Les indicateurs globaux de santé au travail n’existent pas en France. (…) Ensuite, les indicateurs « de fréquence » et « de gravité » ne reflètent que les accidents avec arrêt et les maladies professionnelles, qui sont tous deux sous-déclarés. D’un côté, on annonce une chute des accidents du travail mortels quand d’autres rapports signalent leur augmentation de près de 50 % en France, entre 2011 et 2019. On est très loin d’une protection globale des travailleurs. De même, selon la Sécurité sociale, il y aurait environ 10 000 atteintes à la santé mentale au travail par an. D’après Santé publique France, près de 480 000 personnes seraient atteintes de souffrances ou pathologies psychiques en lien avec le travail. Mais comme il n’y a pas à proprement parler de tableaux de maladies professionnelles reconnaissant ces affections… » regrette Vincent Baud, spécialiste en Santé et QVT et auteur de La QVT : en finir avec les conneries, dans une interview réalisée pour le site internet Travail&Sécurité.
En tout cas, le sujet semble urgent, en témoigne l’étude d’Opinion Way relayée dans un article du site d’information Capital le 23 novembre 2023. Elle a en effet révélé que près d’un salarié sur deux se trouvait en détresse psychologique. « Tous les indicateurs de santé mentale au travail que nous mesurons depuis 2020 se dégradent » affirme ainsi Christophe Nguyen, le fondateur du baromètre.