De nombreuses entreprises tentent désormais d’atteindre la neutralité carbone, et n’hésitent pas à communiquer leur engagement à leurs consommateurs. Pourtant, la notion de neutralité carbone est très subtile, encadrée par la loi, et interroge plus largement sur nos modes de vie.
En 2018, les scientifiques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) définissent la neutralité carbone comme étant « la situation dans laquelle les émissions anthropiques nettes de CO2 sont compensées à l’échelle de la planète par les éliminations anthropiques de CO2 au cours d’une période donnée ». La neutralité carbone est donc atteinte quand les émissions de gaz à effet de serre produites par les hommes sont contrebalancées par des éliminations de gaz à effet de serre via des puits de carbone mis en place par les hommes. Les puits de carbone sont des réservoirs qui absorbent le CO2, comme par exemple les forêts. L’objectif est donc de capter autant de carbone que les hommes en émettent.
Mais attention, une entreprise doit savoir qu’il ne suffit pas de planter des arbres pour compenser ses émissions carbone, sous peine d’être accusée de greenwashing. En effet, la séquestration du carbone ne compense jamais entièrement le CO2 émis car premièrement, il y a un décalage de plusieurs années entre le moment de l’émission et celui où l’arbre finit de capter l’équivalent du carbone émis. Certains arbres poussent plus rapidement, et certaines zones à climat tropical favorisent leur croissance, mais il n’est pas possible de planter à tout va les essences que l’on souhaite dans les zones propices sans dérégler la biodiversité et les cycles naturels. D’autre part, cette compensation n’est pas permanente puisque les gaz à effet de serre amplifient le réchauffement climatique qui à son tour menace l’arbre. En cause l’accroissement du risque d’incendies et parasitaire, quand ce n’est pas l’homme lui-même qui réquisitionne les terres pour ses activités industrielles ou agroalimentaires et détruit donc les forêts.
« La neutralité carbone ne peut pas s’appliquer à une autre échelle que la planète ou les États coordonnés au travers de l’accord de Paris. » précise l’ADEME, l’agence française de la transition écologique, dans un rapport rédigé en mars 2021 sur le sujet. « Pour éviter les abus de langage et une mauvaise utilisation de l’argument, l’agence environnementale publique préconise ainsi aux entreprises de parler de « démarche pour la neutralité carbone », précisant alors que la stratégie de l’entreprise participe à atteindre, à échelle de la planète, cet équilibre. La France s’est d’ailleurs engagée pour neutralité carbone d’ici 2050 dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). » indique la journaliste Lisa Domergue, dans un article du site d’information Carenews publié en avril 2022. Cette démarche doit respecter des étapes scrupuleusement réalisées en trois parties : premièrement, effectuer un bilan carbone exhaustif qui permettra de mesurer précisément le carbone émis par l’entreprise ; deuxièmement, définir un plan concret de réduction des émissions ; et troisièmement seulement, compenser les émissions de CO2 qui ne peuvent être supprimées. L’entreprise, en finançant des puits de carbone, contribuera ainsi à la neutralité carbone mondiale (et non la sienne car un bien produit ou un service réalisé a forcément un impact sur le climat). L’ADEME invite aussi les entreprises à se faire accompagner pour établir une stratégie efficace.
De plus, « se proclamer neutre en carbone revient à oublier que toute activité humaine n’émet pas uniquement du dioxyde de carbone mais également du CH4, du N2O, et du HFC, qui sont autant de gaz à effet de serre extrêmement nocifs pour l’environnement. » explique Camille Poutrin, cheffe de projet agro/carbone vivant chez Greenflex, lors d’une interview réalisée en mai 2022. Tenter de compenser ses émissions de CO2 ne permet donc de lutter que partiellement contre le réchauffement climatique, car on ne peut annuler ses émissions. De plus, notre production entraîne d’autres problèmes qui amplifient la crise environnementale, qui a son tour engendre d’autres problématiques, tel un cercle vicieux. C’est finalement le système de consommation qui est remis en cause ici. Car « c’est un médicament. Il soulage un symptôme – trop de CO2 dans l’atmosphère – mais le cancer sera toujours là » précise l’ingénieur et conférencier Arthur Keller en 2022 au sujet de la décarbonation, invitant ainsi à revoir en profondeur notre mode de vie.
Dans tous les cas, à partir de janvier 2023, comme le prévoit la loi climat et résilience votée en 2021, les règles se durcissent : sera désormais interdit le fait d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone sans présenter chaque année un bilan des émissions de gaz à effet de serre du produit ou service, la démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou du service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées, et pour finir les modalités de compensation des émissions inévitables.