De nombreux spécialistes de la RSE cherchent à redéfinir ce qu’est véritablement le concept de la RSE. Face aux problématiques de dérèglement climatique et d’inégalités sociales, ces derniers rappellent que la RSE n’est en rien synonyme de croissance verte. Celle-ci, pour être véritablement efficace, doit à l’inverse mener vers la sobriété, et donc vers la décroissance.
Certains spécialistes de la RSE, très engagés sur les problématiques environnementales, à l’instar de Fabrice Bonnifet, directeur du développement durable du groupe Bouygues, et de Timothée Parrique, chercheur en économie écologique à l’Université de Lund en Suède, tirent la sonnette d’alarme : la RSE n’est pas synonyme de croissance verte.
Cela signifie qu’elle ne permet en aucun cas d’augmenter des profits de manière responsable. En effet, mettre en place une politique RSE efficace, qui engage l’entreprise dans des actions concrètes de réduction de gaz à effet de serre et de préservation de la biodiversité, a un coût important. De plus, une stratégie RSE doit être réalisée dans le but de maintenir une activité de manière pérenne, en accord avec les contraintes environnementales, et non avec l’objectif d’en accroître les profits. Il est donc probable qu’une entreprise qui augmente ses bénéfices, tout en précisant avoir une activité verte, est en train de faire du greenwashing.
En conséquence, il est illusoire de vouloir augmenter le PIB de notre pays tout en souhaitant diminuer les émissions de CO2. Pis, une baisse d’utilisation de matières premières ou d’énergie engendre une diminution du coût de production d’un produit ou d’un service. La conséquence mécanique est une augmentation de la production de ce produit ou de l’usage de ce service. Or, les spécialistes de la RSE rappellent que ce n’est pas ce vers quoi il faut tendre : c’est au contraire la sobriété qu’il faut atteindre, pour garantir demain un cadre de vie un minimum qualitatif et utile au plus grand nombre. La hausse de la production et de la consommation est donc incompatible avec la diminution de l’emprunte carbone, qui est pourtant devenue l’objectif d’une grande majorité d’entreprises et d’hommes politiques.
« Nous savons aussi que les catastrophes climatiques vont aller croissant longtemps après la fin des émissions de GES anthropiques, et qu’aucune économie ne sera viable sur une planète étuve. La question est désormais la maintenabilité de conditions de vie décentes sur la planète, la justice sociale, et la paix. Les plans de relance conditionnés et autres fit for 55, dans leur configuration actuelle, ne font qu’amplifier la pression sur les ressources et les injustices. » écrit ainsi Fabrice Bonnifet dans un article publié en septembre 2021 dans le journal La Tribune.
Ce dernier invite aussi à ne plus confondre le progrès et l’innovation technologique car la deuxième est désormais rarement au service du premier. L’innovation à l’inverse ne sert plus vraiment le bien commun alors que les ressources qui se raréfient devraient être utilisées pour préparer un mode de vie sobre et durable. Penser que la technologie est une solution est là aussi illusoire.
La sobriété souhaitée par tant de spécialistes va donc de paire avec le choix de la décroissance. Cette décroissance n’est en aucun cas synonyme de récession, historiquement subie. Elle se prépare dès aujourd’hui, afin d’éviter justement de subir de plein fouet dans quelques années les conséquences directes du dérèglement climatique et de la raréfaction des ressources dans nos modes de vie. Cette préparation a aussi l’avantage de se centrer en premier lieu sur le devenir des foyers les plus modestes, qui seront (et sont déjà) les premiers touchés par cette problématique. Cette baisse de la production et de la consommation devra concerner d’abord les activités les plus émettrices de CO2 et être réalisée tout en protégeant l’emploi. Car la sobriété énergétique va de paire avec la lutte contre les inégalités.
« On ne pourra pas passer à côté d’un changement complet des règles du jeu économique : contrôle des prix pour les biens et services essentiels, à commencer par l’immobilier et la santé, interdiction d’une grande partie de la publicité, production sous contrainte écologique (e.g., quotas carbone, taxation progressive de l’usage des ressources), régulation des marchés financiers, etc. Il ne faut pas utiliser le mot « planification » à la légère ; si nous voulons réellement inventer un autre système économique, il va falloir passer toutes nos institutions au crible de la soutenabilité écologique et du bien-être. » conclut Timothée Parrique dans un article du site d’information Dirigeant.e le 30 novembre 2022.