Toute entreprise, même centrée sur un objectif de rentabilité, endosse désormais un rôle social et sociétal. Bien que certaines entreprises mettent plus de temps à s’engager, parce qu’elles n’ont pas encore conscience de ces enjeux ou bien parce qu’elles manquent de temps ou de moyens pour s’y intéresser, la RSE est devenue incontournable. Revers de la médaille, la RSE est aussi désormais sous le feu des critiques. Bien qu’instructives, ces critiques révèlent une méconnaissance du concept et des prises de position parfois extrêmes.
La RSE est devenue incontournable. Le temps où le Prix Nobel d’économie Milton Friedman, comme le rappelle le journal Le Point dans un article publié fin août 2022, pouvait affirmer que « la responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits » est bel et bien terminé. Certes, l’entreprise, qui est une entité économique, a bien entendu comme objectif de générer des profits mais sa responsabilité sociale va bien au-delà. 1970 est loin derrière nous. Toute entreprise endosse désormais un rôle social et sociétal. « Comme chaque entité qui évolue dans notre société, elle doit s’occuper de ce qui l’entoure. Elle ne peut pas vivre en vase clos. Si elle ne se préoccupe que de ses profits, alors l’entreprise est vouée à mourir. Pour qu’une entreprise fasse des profits – ce qui est sain ! –, elle se doit d’être en interaction totale avec son environnement. Comment peut-il en être autrement si elle se coupe du reste de la société, là où se trouvent ses clients notamment ? » explique à l’hebdomadaire Romain Mouton, président du Cercle de Giverny, un laboratoire d’idées dédié au développement de la RSE.
En revanche, si les sonnettes d’alarme quant à la pérennité du modèle économique énergivore qui est le nôtre ont commencé à être tirées à la même époque, la prise de conscience dans nos sociétés est très récente. Ainsi, dans le monde de l’entreprise, la gravité du problème a été saisie il y a peu et les entreprises qui ont décidé d’agir et de mettre en place leur raison d’être sont encore peu nombreuses. La loi Pacte votée en 2019 marque néanmoins un tournant dans cet engagement que le dérèglement climatique largement constaté durant l’été 2022 devrait consolider. Le monde économique subit déjà les conséquences du réchauffement de notre planète, ce qui accentuera sans doute le changement. En outre, la génération de jeunes diplômés est désormais exigeante et pousse de fait les entreprises à bouleverser leurs modèles pour devenir plus vertueuses.
Néanmoins, il semblerait que les PME connaissent plus de difficultés à s’engager. « C’est trop compliqué… Les règles et procédures imaginées à Paris et à Bruxelles sont souvent des usines à gaz. Elles sont trop difficiles à appliquer au sein des petites et moyennes entreprises (PME), mais aussi dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les dirigeants de ces PME et ETI ont la tête dans le guidon. Ils n’ont malheureusement ni le temps ni l’énergie nécessaire pour s’intéresser à ce sujet, déjà qu’ils éprouvent de multiples contraintes réglementaires. » explique ainsi Romain Mouton. L’une des priorités est donc de proposer un accompagnement à ces entreprises afin qu’elles puissent élaborer une politique RSE pleinement intégrée à leur modèle. Il serait également utile de leur préciser les bonnes pratiques afin qu’elles puissent réaliser qu’elles ont parfois établi un bon nombre de pratiques vertueuses sans s’en rendre compte. Dans tous les cas, la RSE va devenir à très court terme indispensable aux entreprises, notamment si elles souhaitent bénéficier de financements.
Ces derniers temps, la RSE subit de vives critiques. Elle est suspectée d’être utilisée par les grands groupes dans un objectif d’accroissement des bénéfices. En juillet 2022, le journal anglais The Economist a d’ailleurs mis en exergue les limites de l’efficacité des critères ESG (environnement, social et gouvernance) censés évaluer l’engagement des entreprises en matière de RSE.
Hélène Valade, la présidente de l’Observatoire de la RSE, qui conseille les entreprises dans leur politique RSE, explique au journal Le Point, dans un article publié le 24 août 2022, qu’il y a nécessité de distinguer RSE et ESG : « C’est comme si on confondait une politique – la RSE – avec les outils de mesure pour l’évaluer, à savoir les critères ESG. La RSE ne relève ni de la mesure ni de la conformité. C’est une stratégie de transformation des modèles économiques qui accepte de surcroît de rendre des comptes sur ses progrès. Cela veut dire quoi ? Élaborer un modèle pour qu’il limite les impacts négatifs dans les domaines environnementaux, sociaux et sociétaux, et le faire savoir. (…) De son côté, la mesure et l’évaluation de la performance extrafinancière – l’ESG donc – sont du domaine des agences de notation. On peut être critique, ou pas, envers ces agences… À chacun de se faire son propre avis. Pour autant, la critique d’un outil de mesure ne devrait pas remettre en cause toutes les politiques de responsabilité sociétale menées par les entreprises. »
D’autre part, les experts en RSE se rejoignent pour expliquer que ces critiques sont plutôt favorables car cela signifie que le concept est reconnu et qu’il a entièrement sa place dans le paysage économique. De plus, les critiques sont utiles car elles traduisent les évolutions qu’il y a lieu de mettre en place pour rendre plus efficaces les politiques RSE. « Les critères ESG doivent être améliorés, en faisant notamment de la réduction de l’empreinte carbone un indicateur central des stratégies RSE » précise ainsi Romain Mouton.
Enfin, ces critiques révèlent le fossé qui se creuse entre les pro-libéraux et les pro-verts. « La RSE doit avancer sur une ligne de crête pour naviguer entre ces extrêmes. Nous devons avoir le courage de la nuance et le courage de la complexité. Les juges de paix seront les salariés et les consommateurs, dont les attentes sont de plus en plus fortes sur ces sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance. » conclue Hélène Valade.