Depuis mars 2021, l’ex-secrétaire d’État a posé ses valises aux Etats-Unis après avoir été nommée directrice Afrique du très influent think tank américain Atlantic Council dans lequel elle promeut une approche panafricaniste.
Vous dites dans une tribune pour Atlantic Council que les pays africains, peu pollueurs, ont besoin de fonds de financement climatique massifs.
La dernière COP26 a été très décevante, comme toutes celles qui l’ont précédée. Depuis qu’elles existent, les émissions ont augmenté de 50%. Ce sommet n’ a rien donné de très concluant pour le continent africain qui représente seulement 4% des émissions mondiales. Les Africains sont pourtant ceux qui paient le prix fort de la déforestation, des difficultés d’accès à l’eau, de la montée des océans. En Afrique, le réchauffement climatique n’est pas une menace, il est une réalité. Par ailleurs, il a été dit lors de cette COP 26 qu’un seul signataire des accords de Paris respecte les objectifs d’émission mondiale de gaz à effet de serre : la Gambie, en Afrique. Je pense qu’il faut mobiliser sur cette question à tous les étages les États, du nord au sud.
Est-ce que les entreprises, notamment africaines, ont un rôle à jouer face à ces enjeux environnementaux ?
Pour ce qui est du rôle des grandes entreprises en Afrique, elles font ce qu’elles peuvent, avec leurs moyens. Les grandes entreprises occidentales, qui œuvrent sur le continent africain, doivent pouvoir jouer un rôle important pour moins polluer, et montrer le bon exemple. Si en revanche, on regarde du côté de l’Africa Tech, les startups africaines sont à la pointe sur les questions écologiques. L’imagination est là. Regardez ce que fait le secteur universitaire au Nigéria pour accompagner les femmes dans le recyclage des sacs en plastique. Regardez ce que font les ingénieurs au Cameroun pour installer des panneaux solaires et produire de l’électricité. Sur le continent africain, on a les solutions pour concilier écologie et développement économique. L’Afrique a son économie circulaire et les préoccupations écologiques sont anciennes. Dans les années 80, Thomas Sankara au Burkina Faso lançait déjà un programme de reforestation.
Comment la jeunesse et les talents africains de demain peuvent s’inscrire, au sein des organisations professionnelles, dans la « riposte climatique mondiale » ?
On peut dire en tout cas qu’il y a bien une génération mobilisée sur la question climatique, elle est née avec. Pour ces jeunes, qui sont très actifs dans les organisations professionnelles, il s ‘agit de prendre à bras le corps tous les problèmes qui sont liés : les enjeux économiques, les enjeux de santé publique. Ils savent faire des contraintes des opportunités, pour créer de nouveaux marchés, et une nouvelle économie. Il faut accompagner cette jeunesse dans sa mobilisation.
En prenant vos fonctions à Washington, vous avez déclaré à la presse : « j’ai hâte de travailler en étroite collaboration avec les décideurs américains, mais également avec les Africains. Non seulement pour changer le récit donné du continent, mais aussi pour une plus grande prospérité. » Sept mois plus tard, avez-vous le sentiment d’avoir emprunté ce chemin ?
C’est un peu tôt pour juger. En tout cas, je m’y attelle au quotidien avec une énergie que je n’ai pas à forcer. Il ne s’agit pas ici pour moi d’un travail mais d’une mission. Je pense en termes de « work in progress ». Je viens de faire, il y a quelques semaines, un grand événement au Musée africain de l’art sur les industries créatives à Washington afin de promouvoir le savoir-faire africain en matière de mode, d’images, de musique, pour montrer ce que l’Afrique peut offrir en terme de leadership, de soft power, avec à la clef, 33 invités, des chefs d’État venus du Ghana, du Burkina, des membres de l’administration Biden, des artistes comme Nancy Bond.
Vous ambitionnez de montrer une Afrique unie, sans prendre en compte de façon excessive les particularismes linguistiques ou historiques ?
Oui, toutes les Afrique, celle de l’Ouest, de l’Est, du Sud… Je porte une vision panafricaine où les barrières artificielles linguistiques héritées de la période coloniale n’ont pas de place, y compris les frontières continentales elles-mêmes. Pour moi, l’Afrique ne se limite pas seulement aux Africains sur le Continent mais concerne aussi ceux de la diaspora dans leur diversité. J’aime particulièrement organiser des débats entre le président du Ghana, la première Ministre de la Barbade et l’assistante spéciale du président Biden. J’aime initier ce type de conversation entre les diasporas africaines au nom du continent africain. Effectivement, mon mot d’ordre se résume à « pas de frontières, pas de limites, ma seule limite à moi, c’est le ciel. »
Le but étant de créer du lien, de la prospérité et des opportunités d’affaires ?
Oui, le but premier est que l’on comprenne que l’Afrique est avant tout une terre d’opportunités et pas uniquement perçue comme une carte de risques. Quand on parle de mode, on peut approfondir en évoquant aussi de l’industrie du coton qu’il y a derrière. Quand on parle de cinéma, on pense Nollywood, on fait référence au Nigeria, à Netflix et à Hollywood. On montre qu’en incluant ses industries créatives dans son PIB, le Nigeria est devenu la première économie d’Afrique. Lorsqu’on discute de sport, on essaie de nouer un partenariat avec la NBA et d’accompagner la NBA Afrique dans laquelle Barack Obama vient d’investir. En utilisant cette plateforme et cette marque très puissante que représente l’Atlantic Council, qui, à Washington – et je le mesure tous les jours, nous ne sommes pas un think tank qui fait juste de la recherche-, nous sommes aussi dans l’influence avec cette capacité à modifier les politiques sur la scène internationale.
Comment avez-vous perçu le sommet Afrique-France de Montpellier auquel les chefs d’État africains n’étaient pas conviés ? Que pensez-vous des engagements du président Macron sur les investissements solidaires et les gages qu’il a donnés à la jeunesse africaine en la propulsant, ce jour-là, au centre du jeu ?
Je me demande si un président français peut faire la même chose avec des jeunes Allemands en Allemagne. Je ne vois pas pourquoi un chef d’État quel qu’il soit, viendrait s’adresser aux Africains, au-dessus de leurs autorités, de leurs parents, des adultes. Pour moi, c’est un traitement que l’on ne réserve qu’à l’Afrique. Car parler de la jeunesse, c’est aussi parler de demain, donc on évite de parler des problèmes d’aujourd’hui. Ces jeunes-là ont également des parents qui sont agriculteurs, entrepreneurs, chômeurs… Et les problèmes du présent, on préfère les laisser de côté et parler de l’avenir. Selon moi, c’est une manière de repousser les choses. Ce n’est pas cela que l’on attend. Les difficultés sont bien présentes. Depuis le Sahel où les coups d’État se multiplient, où les interventions françaises couvrent ces mêmes coups d’État comme au Tchad, par exemple… Tout cela doit être repensé. C’est certes préférable à la création de sommets émotionnels qui légitiment la vieille France Afrique mais quand on organise un sommet, c’est en général pour décider. À Montpellier, je n’ai pas vu les décisions, seulement de la communication.
Comment voyez la société américaine. Est-elle plus fracturée que la société française ?
Aux États-Unis, c’est un combat de même nature qu’en France. Nous avons en ce moment le procès de supremacistes blancs qui, en Géorgie, ont assassiné Ahmaud Arbery, 25 ans, joggeur africain américain. L’impact de la mort de George Floyd continue de peser dans les relations sociales. Trump n’a renoncé à rien, on en parle pour la présidentielle de 2024. Le fossé reste grand entre les communautés et l’Amérique est toujours à un nouveau tournant de son histoire, dans un contexte où son leadership est remis en cause comme on le voit avec l’Afghanistan… Et moi, je suis à ma place à Washington parce que si je peux peser pour aller dans une direction qui me permettrait de mon point de vue de mieux orienter les relations entre Washington et le reste du monde, et en particulier vers l’Afrique, et bien ce sera formidable. Je suis la même des deux côtés de l’Atlantique mais le jeu est plus ouvert ici. La France Afrique était une vision fermée à Paris. J’ai besoin d’un jeu plus transparent et plus juste. L’Afrique n’est pas très connue au niveau de la Maison Blanche, mais il y a une volonté des élites intellectuelles de la comprendre un peu plus. Donc j’accepte cette main tendue pour améliorer ce narratif, pour nourrir une plateforme afin de faire résonner plus fortement la voix des Africains.