Afin de respecter l’objectif fixé par l’Accord de Paris, qui vise à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, il est impératif de baisser drastiquement nos émissions de CO2. Or, même si les entreprises et les pays prennent des mesures, leurs engagements ont d’importantes lacunes.
L’étude récente du Carbon Disclosure Project (CDP), une organisation internationale à but non lucratif gérant l’une des plus grandes bases de données environnementales au monde, révèle que les engagements pris par les entreprises des sept principales économies mondiales pour réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) indiquent une trajectoire vers une augmentation de la température mondiale de 2,7 °C d’ici la fin du siècle. Cette prévision dépasse largement l’objectif fixé par l’Accord de Paris, qui vise à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Les conclusions de cette recherche, basée sur l’analyse de 4 000 entreprises par le CDP, soulignent trois limites majeures dans les engagements actuels.
Premièrement, ainsi que l’explique un article de The Conversation publié en mars 2023 et consacré au sujet, certaines entreprises optent pour des engagements de réduction en intensité plutôt qu’en absolu. Cela signifie que si la production de ces entreprises augmente, leurs émissions de CO2 augmentent également. A l’inverse, il faudrait prévoir un objectif d’émission de CO2 fixe, qui ne bougerait pas même en cas d’augmentation de la production. « C’est la quantité totale des émissions de CO2 en valeur absolue qui importe : le flux annuel des émissions doit diminuer et non augmenter moins rapidement. » précise l’auteure de l’article, Natacha Tréhan, Maître de Conférences en Management des Achats avant d’ajouter : « Pour autant, il est possible pour une entreprise de réduire significativement ses émissions de CO2 en absolu sans obérer sa performance. La clé réside dans la transformation de son modèle économique vers l’économie circulaire (basée sur une boucle durable de Re-conception, Réduction, Réemploi, Recyclage) mais aussi vers la vente de l’usage et non plus du bien (« product as a service »). »
Deuxièmement, la majorité des entreprises ne prennent pas en compte la totalité de leurs émissions, en particulier celles liées à leurs fournisseurs (scope 3), qui représentent souvent plus de 90 % des émissions totales dans certains secteurs tels que les biens d’équipement, les métaux, les services financiers et la construction. Malgré cette réalité, seules quelques entreprises tiennent compte de l’ensemble des scopes, les scope 1 et 2 représentant respectivement les émissions directes et émissions indirectes liées à l’énergie. « Plusieurs explications sont à souligner. Tout d’abord, les scopes 1 et 2 sont plus faciles à mesurer que le scope 3. Ensuite, la publication des seuls scopes 1 et 2 permet de présenter des bilans carbone plus « allégés » et donc de limiter les efforts. Enfin, la déclaration du scope 3, était jusqu’à présent volontaire et ne faisait pas l’objet de réglementation. » explique Natacha Tréhan.
Enfin, la troisième limite concerne la validité des engagements climatiques. Peu d’entreprises soumettent leurs objectifs à la Science Based Target Initiative (SBTI), une méthodologie mondiale qui évalue si les engagements sont en phase avec l’Accord de Paris et s’ils contribuent à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Sur plus de 4 500 entreprises engagées en 2023, seules environ 2 270 ont vu leurs engagements approuvés par la SBTI.
« Oui il est possible de les réduire en absolu, mais cela nécessite de revoir en profondeur les modèles d’affaires » résume à propos de l’article Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable du Groupe Bouygues, sur son compte Twitter en mars 2023.
Les discussions sur la réduction ou bien l’élimination des énergies fossiles sont au cœur des débats de la COP28. Les Émirats arabes unis et d’autres pays pétroliers soutiennent une approche axée sur le captage et le stockage de CO2 (CCS). Cette technologie, permettant de capter le CO2 émis par une centrale à charbon ou une usine, bien que promise depuis quarante ans, peine à démontrer son efficacité et s’avère plus coûteuse que les solutions reposant sur les énergies renouvelables.
Selon l’organisation Oil change international, dont les propos sont rapportés dans un article du site d’information Novethic, publié en décembre 2023, le CCS ne répond pas aux attentes. Environ 40 installations fonctionnent dans le monde avec des taux de capture variant de 10 à 65 %. Le coût élevé du CCS constitue un autre obstacle, avec plus de 20 milliards de dollars déjà dépensés et jusqu’à 200 milliards de dollars supplémentaires prévus. Une étude estime que le choix du CCS pourrait coûter au moins 30 000 milliards de dollars de plus qu’une transition vers les énergies renouvelables d’ici 2050.
En outre, « les données de Oil change international montrent aussi que 79 % de la capacité opérationnelle mondiale de CCS sert à produire plus de pétrole. Le CO2 capté est en effet injecté dans les puits de pétrole » peut-on lire dans l’article du site d’information Novethic. Ce constat soulève donc des préoccupations quant à son rôle réel dans la lutte contre le changement climatique. Enfin, une analyse révèle que plus de 80 % des engagements des compagnies pétrolières en faveur du CCS ne sont pas alignés sur les recommandations scientifiques du Giec, et sont plutôt utilisés pour entraver la sortie des énergies fossiles.
Les débats à la COP28 portent sur trois options pour la réduction des énergies fossiles, allant de la suppression progressive à l’accélération des efforts avec CCS. Si ce dernier choix était privilégié, afin de rendre l’accord cohérent, « les pays devront s’accorder sur une définition scientifique rigoureuse du terme, qui fixe des taux de capture du carbone d’au moins 90 à 95 % et qui prenne en compte les émissions en amont (extraction et production d’énergies fossiles). » conclut l’article.