Très tôt confrontée à différentes situations d’exclusion, j’ai voulu œuvrer pour l’intérêt général et me suis orientée vers des études de sciences politiques. Ma jeunesse en milieu rural m’a aussi fait développer un rapport fort à la nature. Au début des années 2000, alors que nous étions en pleine transformation digitale, je me suis intéressée à la RSE, à une période où encore très peu de personnes s’en préoccupaient dans le monde de l’entreprise. Je me souviens d’ailleurs d’un de mes patrons de l’époque me déconseillant de prendre cette voie, la jugeant peu porteuse pour mon évolution professionnelle. Ce qui était plutôt bienveillant de sa part dans le contexte de l’époque… Mais, plus portée par mes convictions que par des considérations de carrière, je ne l’ai écouté que d’une oreille ! Et cela fait maintenant plus d’une décennie que j’exerce des fonctions dans l’univers du développement durable, de la RSE et de l’ESG (Environnement, Social et Gouvernance).
D’une manière vertigineuse ! Après les prémices de la discipline en 2000, nous avons connu dans les années 2010 une accélération phénoménale, soutenue par les engagements volontaires des entreprises qui ont ainsi voulu répondre à la quête de sens de leurs parties prenantes. La définition des ODD (Objectifs de Développement Durable), la création du Global Compact et puis, en point d’acmé, la COP21 et les accords de Paris ont stimulé les acteurs privés tant en France qu’au niveau international, dans tous les secteurs d’activité. Le Covid n’a pas ralenti la dynamique, bien au contraire. Et aujourd’hui, nous entrons dans l’ère de la maturité. L’approche pionnière tend à s’institutionnaliser. La prise de conscience du greenwashing a mis fin à certains excès. Les réglementations, en Europe principalement ou dans une moindre mesure aux Etats-Unis ou en Chine, sont en train de normer une pratique qui s’est construite au départ de manière empirique. Une transformation en profondeur est en marche, dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur et les effets à terme. L’opinion publique oscille entre « ESG fatigue », scepticisme et radicalité. La discipline entame une nouvelle phase de son évolution, c’est certain …
Au sein de Lagardère, nous avons démarré les travaux de préparation à la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), avec la mise en place depuis mai 2023 d’un projet de transformation baptisé Gaia. Bien que le groupe publie déjà la DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière) depuis 2017 et compte à son actif une stratégie RSE plutôt en avance sur son secteur, les travaux sont conséquents. Notre reporting extrafinancier va changer de dimension. Le régulateur européen a adopté une approche holistique, couvrant tous les domaines de l’ESG et adoptant la double matérialité. Son pari est qu’une plus grande transparence et comparabilité des données publiées, avec un niveau de contrôle identique aux comptes financiers, agisse mécaniquement sur le niveau d’engagement des grandes entreprises. En conséquence, le positionnement des directions RSE va se transformer. La CSRD élargit leur rôle de coordination stratégique pour rendre compte désormais de l’ensemble des progrès réalisés, à un rythme annuel et sur un très large spectre de préoccupations sociétales. La production de ce reporting nécessite de faire équipe non seulement avec la Finance, mais aussi avec l’intégralité des fonctions de l’entreprise (risques, contrôle interne, achats, RH, distribution…). Tous les responsables RSE ou Développement Durable expérimentent de nouveaux modèles de gouvernance et d’organisations autour de ces questions de comptabilité extrafinancière. A terme, la fonction en sera profondément modifiée !
D’une manière générale, je pense que personne ne peut pleinement s’en satisfaire aujourd’hui, tant dans le secteur public que privé. Avec le cadre de la TCFD (Task Force on Climate Related Financial Disclosures), les normes Climat de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), et la publication obligatoire du plan de transition dès 2025 dans la CSRD, nous avons désormais la boite à outils nécessaire. Reste désormais, pour de nombreuses entreprises, à construire de véritables stratégies climatiques, tant en termes d’atténuation que d’adaptation, posant la question délicate des modèles d’affaire, de l’interdépendance avec les partenaires et les fournisseurs, de la conduite du changement des gammes de produits et services avec les clients, sans oublier les aspects sociaux de la transition… Ayant travaillé dans le secteur financier durant de longues années dans le but d’orienter les flux financiers vers des trajectoires Net Zéro, je peux témoigner du fait que la lecture des efforts de décarbonation d’une entreprise reste un exercice encore largement aléatoire et sujet à interprétation. Une des promesses de la CSRD est de fiabiliser cette lecture prospective. Au sein du groupe Lagardère, nous avançons de manière volontariste pour « faire notre part avec un objectif de moins 30% d’émissions CO2 d’ici 2030, par rapport à 2019. A noter que Lagardère Publishing – 3ème éditeur de livres grand public au monde – a déjà réduit de 20% ses émissions de C02 en France depuis 12 ans et affiche sur ses livres une double indication : celle de l’empreinte carbone de l’ouvrage et celle de l’origine (certifiée ou recyclée) des fibres de papier utilisées.
Je crois fondamentalement à la sensibilisation et à la formation de tous les niveaux hiérarchiques et métiers de l’entreprise. Nous avons besoin à la fois de dirigeants avertis pour impulser une dynamique et d’équipes mobilisées pour la démultiplier. Nous avons entamé un cycle de sessions visant à sensibiliser encore davantage notre conseil d’administration, en ligne avec les recommandations du Code AFEP-MEDEF. Dans notre activité de commerce de détail en gares et aéroports, avec près de 5 000 points de vente dans plus de 40 pays de cultures et législations différentes, c’est l’expertise acquise par les équipes qui fera la différence pour générer les initiatives sur le terrain, et atteindre nos objectifs en matière d’efficacité énergétique ou de réduction des déchets. Ainsi, Lagardère Travel Retail démarre le déploiement d’une fresque du climat, dont le contenu a été adapté à ses métiers : en 2023, 115 collaborateurs du siège ont déjà été formés, ainsi que des équipes aux Etats-Unis, République Tchèque, Suisse… A cela s’ajoutent les formations d’éco-design pour les concepteurs de boutiques, des webinaires organisés avec des ONG sur la pollution plastique et la déforestation. Cela reste une mission essentielle des équipes RSE de favoriser l’accès aux connaissances et créer les espaces d’innovation pour que chaque collaborateur puisse agir à son échelle.
Ma conviction est qu’une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux est créatrice à la fois d’opportunités et de résilience pour le modèle d’affaire d’une entreprise sur la durée. La dynamique existe aujourd’hui sur le Climat. Mais elle doit se développer encore sur la biodiversité. J’ai été membre pendant deux ans de la TNFD (Taskforce on Nature related Financial Disclosure) qui – espérons-le – va jouer pour la biodiversité le même rôle de catalyseur que la TCFD a eu pour le climat au niveau international. Elle propose un premier cadre d’évaluation des risques, impacts et interdépendances pour intégrer véritablement les enjeux du capital naturel aux activités commerciales. A mon sens, l’entreprise de demain est celle qui aura su anticiper, sur des bases scientifiques, les enjeux du climat et de la biodiversité tout en créant des produits et récits désirables autour de ces enjeux !