En 1984, il y a bientôt 40 ans, j’ai fondé l’association SOS Drogue International, première pierre du Groupe SOS. J’ai dirigé bénévolement cette association pendant une douzaine d’années. Cette première structure du Groupe SOS fut pionnière dans le développement de dispositifs d’aide et de soin pour les personnes toxicomanes, au cœur de ce qu’on nommera plus tard les « années Sida ». Notre objectif était de répondre à une problématique qui ne bénéficiait alors d’aucune politique publique, pour combler un vide face à un enjeu sociétal majeur. Cet engagement incarne l’essence même de notre ADN, une philosophie que le Groupe SOS a toujours perpétuée depuis sa création : celle d’imaginer des solutions innovantes, en réponse aux problèmes sociaux et environnementaux de notre époque et de demain.
Après avoir démissionné de la fonction publique, j’ai assumé la présidence du groupe Régine. Cette responsabilité m’a conduit à diriger des établissements tels que le Pavillon Ledoyen, tout en évoluant dans l’univers nocturne et en coordonnant les premières activités du Groupe SOS.
Cette expérience a indéniablement eu un impact sur ma perception des choses, mais surtout, elle m’a offert une opportunité d’apprentissage considérable. J’ai acquis des connaissances essentielles en matière de gestion – notamment la règle simple de ne pas dépenser plus que ce que l’on gagne. De plus, j’ai découvert la dynamique entrepreneuriale, la capacité à réagir rapidement, à innover et à s’adapter aux circonstances. Cette expérience m’a également inculqué une exigence accrue envers les autres… et envers moi-même.
J’ai été le premier président du Mouvement des entrepreneurs sociaux (MOUVES), devenu Mouvement Impact France aujourd’hui. Il est certain que depuis cette époque, l’entrepreneuriat social a gagné une véritable bataille culturelle : les entreprises ont compris qu’elles avaient intérêt à partager leur valeur, à partager leur pouvoir de décision et à développer leur impact social et environnemental. C’est ce que demande l’opinion publique, c’est-à-dire leur client. Le monde associatif a également compris que s’il souhaitait proposer une troisième voie à la gestion publique ou à la gestion privée lucrative dont on voit les dérives de certains dans divers secteurs (crèches, Ehpad, hôpitaux…), il fallait qu’il se professionnalise. C’est l’objectif que je me suis fixé, et c’est également l’objectif que les différents mouvements poursuivent aujourd’hui. Bien que les avancées puissent sembler lentes, nous constatons des évolutions positives significatives vers une transformation durable et globale de l’économie. De nouveaux statuts d’entreprises, tels que les ESUS (Entreprises Solidaires d’Utilité Sociale) les fondations actionnaires ou les entreprises à mission ont émergé, avec des exemples convaincants, comme la Maif ou le Crédit Mutuel. Ces avancées sont inestimables car elles contribuent à accroître la visibilité de ce modèle d’entreprise et à démontrer qu’il est possible de réussir sur le plan économique tout en générant un impact positif. De plus, ces pratiques entrepreneuriales offrent des garanties essentielles contribuant ainsi à lutter contre le greenwashing et le social washing.
Le Groupe SOS a vu le jour à l’émergence du VIH/Sida, et depuis lors, il s’est élargi pour aborder diverses problématiques sociales et environnementales. Aujourd’hui, le Groupe SOS emploie 22 000 personnes au sein de ses 750 associations, entreprises sociales et établissements médico-sociaux qui le composent.
En parallèle à l’évolution de la société et à l’importance croissante des questions climatiques, le Groupe SOS, qui a toujours eu pour mission d’agir au service de l’intérêt général, a naturellement pris en charge ces enjeux. Guidés par une volonté d’intervention sur le terrain et d’innovation face aux nouveaux défis, nous avons développé un secteur dédié à la transition écologique, rassemblant aujourd’hui plus de 1000 employés dont la majorité sont en insertion vers les métiers d’avenir. À travers nos actions quotidiennes, nous démontrons que la transition écologique est avant tout une question d’impact social.
De plus, toutes nos structures ont en commun cette raison d’être : agir de manière vertueuse sur les plans écologique, social et économique. Par exemple, notre association « Fermes d’Avenir » accompagne des porteurs de projets agroécologiques. Notre objectif est de restaurer à l’agriculture sa capacité à créer des emplois, à revitaliser les territoires, tout en assurant sa durabilité. Nous avons rassemblé plus de 300 fermes sur le territoire, accompagné 1000 personnes et formé 33 demandeurs d’asile, sachant que 50 % des agriculteurs partiront à la retraite dans 5 ans.
L’association « Brigades Nature » est une autre illustration de notre ambition, en combinant la gestion d’espaces naturels protégés avec l’insertion professionnelle par le biais des métiers verts : nous avons ainsi accompagné près de mille personnes en insertion par ce biais, dont plus de 60 % poursuivent ensuite avec un contrat ou une formation qualifiante. C’est ce que nous réalisons, par exemple, en Camargue avec notre association « Les Amis des Marais du Vigueirat » qui gère de manière très innovante l’une des plus importantes réserves naturelles de la région. Soutenir les métiers liés à la préservation de ces espaces, c’est à la fois former pour l’avenir et préserver ce qui doit l’être aujourd’hui.
Protéger l’environnement signifie également contribuer à sa préservation en réhabilitant des espaces grâce au ramassage des déchets plastiques, en particulier en mer, où nous sensibilisons différents sites à la dépollution des littoraux avec l’association « Wings of the Ocean ». Par ailleurs, nous nous engageons pleinement dans la construction d’un modèle durable pour nos établissements sociaux et médico-sociaux. Nous avons par exemple mis en place, avec succès, un plan pour réduire de 15 % notre consommation de gaz et d’électricité à l’échelle du Groupe, avec un objectif de les diminuer de 40 % à horizon 2030. Nous adaptons également les menus et cuisines de nos établissements afin de réduire leur impact environnemental. Enfin, nous déployons un plan ambitieux de formation et de sensibilisation de nos équipes afin de les former aux objectifs de ce plan de sobriété et de les inviter à mettre en place et proposer de bonnes pratiques pour diminuer notre empreinte environnementale.
Toutes ces initiatives partagent un objectif commun : intervenir au plus près des problématiques environnementales grâce à des initiatives entrepreneuriales concrètes, sous forme associative, partout où nous pouvons apporter notre aide.
Le rôle de l’entreprise dite classique a largement évolué ces dernières années. D’abord par la volonté du législateur : la loi PACTE raison d’être, la loi Hamon de 2014 qui vise à étendre le champ de l’ESS, puis à l’échelle Européenne avec le devoir de vigilance des entreprises et la création de normes européennes de reporting de durabilité, dites CSRD. Ces évolutions correspondent à la volonté d’élargir le rôle des entreprises, dépassant la simple recherche de profitabilité. Il est aujourd’hui clair que les entreprises jouent un rôle économique, social et écologique primordial dans la société. J’ai la conviction que ce sont les entreprises qui doivent changer le monde, qu’il faut créer plus de richesses et mieux les répartir. Par ailleurs, les statuts ne font pas la vertu. J’aime cette formule qui veut dire que le statut juridique d’une organisation, quelle qu’elle soit, ne garantit pas sa respectabilité. Si le modèle de groupe associatif du Groupe SOS est en effet particulièrement favorable au développement et à l’innovation, d’autres modèles peuvent tout aussi bien fonctionner. Nous mettons un point d’honneur, sur l’ensemble de nos champs d’interventions, à mesurer nos impacts. Cette mesure d’impact est la boussole de notre action et nous œuvrons pour que tous les acteurs économiques s’en emparent. Certes, la question économique est indissociable des questions sociales et environnementales, néanmoins nous devons aujourd’hui les mettre sur un pied d’égalité, pour que tous les acteurs s’attachent à garantir un impact social, environnemental et économique positif, à travers leurs activités.
Évidemment que la croissance verte est possible, voire même souhaitable, mais va-t-elle assez loin ? Sincèrement, je ne sais pas si la croissance doit être verte, rouge, orange ou bleue, et si la « croissance » elle-même repose sur des indicateurs qui nous permettent de répondre aux défis de la crise climatique. Il est néanmoins certain qu’aujourd’hui, nous ne pouvons plus ignorer la catastrophe climatique et les inégalités qui l’accompagnent, à la fois à l’échelle nationale et à l’échelle mondiale.
A ce titre, le Groupe SOS s’efforce à construire un modèle différent, inclusif et durable, qui met l’économie au service de l’Homme et de la planète : une gouvernance associative, des échelles de salaires limités, et des activités 100% tournées vers un impact social et environnemental positif. Ces deux dimensions sont essentielles, il ne faut surtout pas dissocier le social de l’environnemental, sous peine d’accentuer drastiquement les inégalités. Le Groupe SOS présente un rapport intégré qui ajoute ses résultats extra-financiers et sa mesure d’impact aux composantes classiques du rapport annuel que sont le rapport d’activité et le rapport financier. Nous croyons que l’entreprise, qui a une responsabilité évidente sur nos vies, doit avoir une approche plus holistique de son activité et de son impact, qui va plus loin que son seul résultat comptable.
Ainsi, je crois que l’économie doit définitivement abandonner le mythe de la croissance infinie au service du seul intérêt économique, et systématiquement intégrer une raison d’être sociale et environnementale pour combattre, agir et innover sur les crises que traversent nos époques.