La permaentreprise est un nouveau modèle de développement d’entreprise qui, tout en étant viable économiquement, place les besoins et aspirations des humains au centre de ses préoccupations et fait un usage sobre et régénératif des ressources de notre planète.
Avec la permaentreprise, le but est d’engager les entreprises sur des objectifs ambitieux et fondamentaux qui vont participer à construire une autre vision du monde. C’est pourquoi il est important d’y ajouter des objectifs d’impacts. C’est ce que j’ai fait en ajoutant, par exemple, la garantie d’une contribution nette et positive de carbone d’ici 5 ans.
Pour ne pas être clivant, j’ai mis en place différentes étapes. Ainsi, pour ceux qui ont un chemin important à faire, cela peut être fait dans les 10 ans. Il y a un seul prérequis et il est simple : tout faire pour réduire les émissions. Et je ne parle pas de compensation, la compensation est trop facile.
Un des autres objectifs d’impact est que le télétravail soit en moyenne, pour ceux qui le peuvent, à trois jours. Au-delà de la flexibilité qu’il apporte dans l’aménagement du travail, le télétravail est un très bon moyen de réduire les émissions de CO2. Mais attention, il ne faut pas non plus l’imposer. Nous pouvons aussi penser à redistribuer au moins 50% des bénéfices à la société civile (impôts compris) et aux salariés.
Si nous sommes nombreux à intégrer ces objectifs dans le modèle de permaentreprise, là nous pourrons faire bouger les choses.
En vingt ans, la RSE n’a pas fait ses preuves. C’est pour ca qu’il faut inventer quelque chose de plus efficace. La RSE doit donc être remise en question. Aujourd’hui il y a urgence et pour convaincre davantage les chefs d’entreprises et les actionnaires, il faut parler d’un modèle de développement et non pas appliquer seulement une politique ou un dispositif RSE à partir de référentiels qui existent déjà.
Et plus on s’y prend tôt, mieux c’est. Si par exemple je crée aujourd’hui mon entreprise et que j’aligne mon développement sur un modèle de permaentreprise, ça va consolider et structurer avec beaucoup de cohérence le projet de l’entreprise. Une chose que l’on a tout intérêt à faire lorsqu’on crée une entreprise et que l’on recherche des financements.
J’ai développé une méthodologie pour accompagner ceux qui le souhaitent dans la mise en place de ce nouveau modèle. Dans la méthodologie, on travaille d’abord sur la définition ou l’alignement de la raison d’être de l’entreprise. Ensuite on va définir les enjeux de court et moyen termes de l’entreprise, ce sont les enjeux stratégiques. Par exemple, chez Norsys, nous sommes une entreprise de service numérique reconnue dans le haut de gamme. C’est un exemple d’enjeu très business mais il y a beaucoup d’humain et de social qui se cache derrière. Car un de nos autres enjeux est de faire en sorte que les salariés soient en énergie positive de façon permanente en s’appuyant sur des leviers de qualité de vie.
En réalité, pour chacun des enjeux stratégiques, on va définir les projets que l’on veut continuer de mener et ceux que l’on souhaite développer pour pouvoir assumer nos enjeux stratégiques. Chacun des projets est lié à des objectifs d’impact. Ces objectifs seront le référentiel de l’entreprise.
Le modèle que je propose permet de créer son propre référentiel d’objectifs d’impact à atteindre, avec des indicateurs de mesure qui pourront évoluer dans le temps. Je trouve que c’est beaucoup plus fort car on peut donc en faire un véritable outil de pilotage pour l’entreprise et ça c’est un gage de réussite. Bien sûr cela n’empêche pas que l’on puisse s’inspirer d’autres référentiels, bien au contraire.
A Norsys, cela fait 10 ans que nous fonctionnons comme ça et tous les 10 ans nous faisons un audit de tous nos sites, en France et au Maroc, sur la base de notre référentiel. Cela nous permet d’avoir une évaluation de nos agences et de les faire progresser/évoluer. C’est typiquement du pilotage. Et c’est très riche, car pour notre cas, cela nous permet de faire évoluer les agences en fonction de leur taille. Cela développe une véritable identité unique de l’entreprise.
Et avec ces audits nous pouvons dégager des idées transversales. Par exemple, début 2020 lors de nos audits, nous avons débattu, et fait des votes. En est ressorti l’abandon de l’avion comme moyen de transport s’il nous était possible de nous déplacer en moins de 6h par un autre moyen de locomotion. Nous avons aussi fait voter l’arrêt des commandes chez Amazon ou l’absence de plastique dans nos plateaux repas lorsque nous commandons.
Il y a effectivement des différences. Par exemple, la culture du statut est plus forte au Maroc. Il y a une culture qui consiste à ne jamais dire non, donc les “oui” faussent souvent les jeux. Il faut se donner le temps de faire évoluer tout ça et les dispositifs comme celui de la permaentreprise font rapidement évoluer les choses.
Aujourd’hui, à Norsys, au Maroc, il n’y a aucune différence avec ce qui est fait en France. Et d’ailleurs quand nous proposons l’expérimentation de nouvelles démarches, il arrive que l’agence marocaine se porte volontaire pour expérimenter le modèle pour les autres. Je crois que si on se donne le temps de travailler les choses, on fait évoluer les cultures et on transmet.
Au bout de 6 à 12 mois de présence dans l’entreprise, nous passons une journée avec les nouveaux collaborateurs et collaboratrices. Et le matin de cette journée, nous leur demandons de réaliser un rapport d’étonnement, de noter les points de vigilance avant de débattre tous ensemble. Il y a 5 ans, quand le mot écologie et/ou environnement apparaissait deux fois c’était le maximum. Aujourd’hui, pratiquement tous les collaborateurs le citent. Des jeunes, comme les moins jeunes.
Et c’est un bon moyen d’observer les évolutions au fil du temps. Donc oui, il y a des attentes fortes et celle sur les actes vis-à-vis de la planète en fait partie. Une autre attente forte est celle sur l’autonomie et le contexte d’épanouissement que peut garantir l’entreprise. Évidemment, ce sont des choses auxquelles répond le projet de permaentreprise.
Il peut y avoir des différences entre les pays sur les attentes. Nous le voyons chez Norsys. Par exemple avec le poids de l’argent. Il n’est pas le même. Au Maroc, le système d’ascenseur social est encore très présent. La rémunération est donc mise en avant. En France, on le sent un peu moins, même si les plus jeunes qui ont envie de s’installer ont aussi ces attentes. Les moins jeunes que l’on recrute portent plus leurs intérêts sur l’épanouissement et l’aménagement du temps de travail.
Les choses évoluent et elles évoluent très très vite. D’ailleurs le mot “anticipation” est clé dans le projet de permaentreprise, ce qui permet sans doute de répondre aux attentes et de fidéliser.
Le modèle de permaentreprise, banni la maximisation des profits. Mais il permet de créer un cercle vertueux qui finalement en ne partant pas du tout d’une recherche maximale de profit, va en générer davantage. Finalement, nous gagnons peut-être plus d’argent qu’une entreprise qui n’adopte pas ce modèle.
Un exemple très probant est celui du télétravail. Nous l’avons mis en place en 2015. Peu d’entreprises françaises ne voulaient en entendre parler. Nous avons fait ce choix tôt pour favoriser l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, nous anticipions les tendances. Nous avons donc eu une conduite du changement progressive. Lorsque le télétravail est passé à 100% en mars 2020, nous n’avons rien eu à faire. Mais toutes les entreprises qui n’ont pas voulu en entendre parler, ont vu ce choix s’imposer à elles. Et là, ça a été la panique. Nous en avons fait une sorte de performance car nous avons continué de travailler comme avant le 16 mars 2020. Pendant ce temps-là, de nombreuses entreprises ont perdu de l’argent en s’adaptant dans la hâte.