J’ai grandi à Toulouse puis je suis parti étudier à l’ESSEC Business School, avant d’enchaîner avec un master en affaires publiques à Sciences Po Paris. Je suis entré dans le monde professionnel comme banquier d’affaires chez Merrill Lynch où j’ai passé cinq années très formatrices. Puis j’ai été rattrapé par une quête de sens qui m’a poussé à quitter le monde des fusions-acquisitions pour celui de l’impact. Je voulais surtout donner du sens à mon travail. Je ne dirais pas que je suis un entrepreneur dans l’âme. Je n’ai pas rêvé toute ma vie de créer ma propre entreprise, comme certains entrepreneurs le racontent souvent. C’est la quête de sens qui m’a amené à devenir entrepreneur. J’aurais pu par exemple me diriger vers une ONG, c’était une des options sur la table au sortir de la banque d’investissement.
C’est de ma rencontre avec mon associé Baptiste Corval qu’est née l’idée de créer Phenix, en 2014. Cela fait maintenant huit ans que je suis entrepreneur à impact et je me suis peu à peu engagé pour faire monter en puissance la tech for good dans l’écosystème digital français.
Depuis 2020, je co-préside le Mouvement Impact France (MIF) avec Eva Sadoun. Né de la fusion entre le réseau Tech for Good France et le Mouvement des Entrepreneurs Sociaux, il a pour but de rassembler et de fédérer les entreprises à impact social et environnemental pour proposer un nouveau récit et une alternative au modèle traditionnellement porté par les mouvements d’entrepreneurs historiques.
A l’âge de 30 ans, pris entre une crise de la quarantaine anticipée et une crise d’adolescence à retardement, j’ai réalisé que mes journées manquaient de sens et d’impact, et j’ai voulu faire du business autrement. L’entrepreneuriat social, le “social business” comme disent les anglo-saxons, est assez vite apparu dans mon champ de vision comme une bonne synthèse de mon parcours et de mes aspirations.
Après avoir creusé plusieurs pistes, celle menant à la lutte contre le gaspillage alimentaire nous a rapidement semblé assez complète, en répondant à un triple enjeu : écologique mais aussi social, et économique. Il y avait également un bon terrain de jeu, avec énormément de choses à faire dans ce secteur. Aujourd’hui le marché se structure, mais à l’époque il s’agissait d’un champ en friche.
Comme souvent dans l’entrepreneuriat, l’idée de départ n’a plus grand chose à voir avec ce qu’est devenu Phenix. En sept ans, on a fait beaucoup de chemin, on a itéré, opéré des pivots et lancé de nombreux services.
Notre intuition de base, c’était d’aller chercher le gaspillage dans le frigo du consommateur, en proposant une solution C2C. Aujourd’hui, Phenix est sur du BtoBtoC, on vend 5 services dont une application mobile antigaspi ouverte au grand public, mais en aucun cas sur du CtoC. En 2014, le CtoC était une impasse et on a donc dû effectuer un pivot très tôt. C’est cela qui nous a permis de décoller. En 2021, le CtoC pour lutter contre le gaspillage prend peu à peu son essor, mais il aurait été vain de se lancer en 2014. Il faut savoir s’adapter au marché.
Nos solutions concernent toute la chaîne de valeur, de la fourche à la fourchette : producteurs, grossistes, industriels, retailers, commerçants de quartier, restauration collective.
Nous nous sommes d’abord développés sur les supermarchés. Ce sont les premiers à avoir été concernés par la loi sur le gaspillage, et ce sont sans doute ceux qui ont été le plus pointés du doigt dans les médias et sur les réseaux sociaux, alors même qu’ils ne représentent que 14 % du gaspillage selon l’Ademe.
Le futur de Phenix, c’est de se développer encore plus sur l’amont de la chaîne notamment chez les transformateurs. Nous avons par exemple des partenariats avec Danone, Lutti, Coca Cola, Florette ou encore Rians. Nous voulons multiplier le nombre de partenaires sur ce segment de la chaîne de valeur, sans pour autant délaisser les retailers, qui restent le principal segment de marché pour Phenix.
Tous les professionnels de l’alimentaire ont un intérêt à lutter contre le gaspillage alimentaire. D’une part, parce que le coût des déchets est en constante augmentation, ce qui veut dire que le gaspillage représente un coût grandissant pour tous les acteurs de la chaîne de valeur. D’autre part, parce que les dispositifs législatifs les y incitent, notamment par une incitation fiscale, et parce que le consommateur attend de plus en plus des enseignes qu’elles s’engagent contre le gaspillage.
Au-delà de l’aspect social et environnemental évident, l’aspect économique est un véritable levier pour les convaincre de s’engager. S’ils ne s’y retrouvaient pas économiquement, beaucoup ne le feraient pas. C’est une vraie fierté pour nous, chez Phenix, d’avoir développé des solutions qui cumulent trois impacts positifs pour nos clients : à la fois social, environnemental et économique.
Côté consommateur, je pense que le consommateur français est plus que jamais en quête de bons plans anti-gaspi. L’anti-gaspi est devenu un mode de consommation à part entière. Le regard sur cette pratique a énormément évolué, dans le bon sens. Il y a vingt ans, acheter des produits en dates courtes était mal vu socialement, c’était une pratique peu répandue et confidentielle. Aujourd’hui, les consommateurs sont fiers de lutter contre le gaspillage et en parlent autour d’eux. Nous nous développons fortement grâce au bouche à oreille, et nous voyons des utilisateurs devenir ambassadeurs de Phenix. Certains postent des photos de leurs paniers sur les réseaux sociaux, d’autres parrainent leurs amis pour qu’ils se lancent sur Phenix, cela témoigne d’un véritable renversement : l’anti-gaspi est devenu sexy.
Concrètement, on constate que l’app n’est pas un truc de bobos urbains, comme on aurait pu le croire au début. En fait, elle marche très bien en banlieue et en région, pas uniquement dans les centres-villes, et pas seulement avec des consommateurs ultra digitalisés. Ainsi, les mères de famille font partie des catégories d’utilisateurs les plus dynamiques sur l’app, et au niveau géographique, on voit que des maraîchers qui vendent directement leurs paniers Phenix à la ferme parviennent à atteindre de très bons taux de vente. C’est un succès inespéré pour nous et cela témoigne d’une forte adhésion de la société française à l’anti-gaspi.
Nous sommes une entreprise à impact. Cela veut dire qu’on ne fait pas de la RSE au sens classique du terme. Concrètement, on ne vient pas générer des externalités négatives par notre action, pour ensuite les compenser par une politique RSE. Au contraire, l’impact social et environnemental est au cœur de notre action. Chaque salarié qu’on recrute, c’est un impact positif pour l’intérêt commun. Ainsi, nous ne versons pas la RSE à un bilan extra-financier. Nous intégrons le nombre de repas sauvés comme un KPI à part entière, au même titre que la croissance de l’activité, le chiffre d’affaires et le nombre d’emplois créés.
La problématique sociale et environnementale à laquelle nous nous attaquons, c’est celle du gaspillage alimentaire qui, parce qu’elle s’inscrit dans la solidarité, concerne cinq ODD (Objectifs de Développement Durable) définis par l’agenda 2030 de l’ONU : Réduction de la pauvreté (objectif 1), Zéro faim (objectif 2), Réduction des inégalités (Objectif 10), Consommation et production responsables (objectif 12) et Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques (objectif 13).
Dans le même temps, nous mettons en place des actions concrètes pour tendre vers une gouvernance plus juste, plus en phase avec le modèle d’entreprise que nous souhaitons incarner.
Par exemple, nous disposons d’une charte télétravail qui donne droit à 3 jours de télétravail par semaine, pour deux jours en présentiel. C’est aussi préférer un fournisseur d’électricité verte, trier et recycler en avançant vers le zéro déchet, se fournir en matériel informatique de seconde main, choisir une banque responsable, faire l’achat d’un lombricomposteur ou encore équiper notre flotte en véhicules propres.
Par ailleurs, on se veut pionnier sur des sujets sociétaux : Phenix a fait partie des 105 premières entreprises à signer le Parental Act, pour allonger le congé rémunéré du second parent.
Et pour ce qui concerne spécifiquement mon rôle, en tant que fondateur et CEO, je dirais qu’il s’agit d’être le garant de notre ADN à trois niveaux de la gouvernance :
1°) dans les grandes décisions et orientations stratégiques
2°) en insufflant et maintenant une culture d’entreprise en adéquation avec cette mission et ces valeurs
3°) en veillant à faire les bons choix parmi les prestataires et partenaires.
Pour toutes ces raisons, c’est une fierté pour Phenix d’être labellisée B-Corp et d’avoir récemment renouvelé l’agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale), qui encadre l’échelle de salaires et consacre un principe de lucrativité limitée.