Le terme de greenwashing est habituellement utilisé pour qualifier une allégation pouvant induire le public en erreur, soit sur la réduction de l’empreinte environnementale ou sociale d’un produit ou d’un service, soit sur la réalité ou la portée de la démarche de soutenabilité d’une entreprise ou d’une organisation. Le risque de greenwashing n’est pas réservé aux campagnes de publicité. Toutes les formes et tous les supports de communication sont concernés : communication commerciale ou institutionnelle, relations presse, communication produit, édition, numérique, packaging, événementiel, lieu de vente, etc.
Voici quelques exemples :
Il est légitime et même fondamental qu’une organisation communique sur l’avancement de sa démarche de soutenabilité ou sur la commercialisation de produits ou services plus compatibles avec les enjeux écologiques. Cela permet notamment de valoriser le travail réalisé par les équipes et d’entretenir une dynamique interne, de déployer des éco-innovations qui répondent mieux aux besoins des consommatrices et des consommateurs, ou encore d’être identifié par des investisseurs ou des partenaires engagés. Mais cela doit être fait avec humilité, dans une posture de communication responsable. En particulier, les allégations doivent être claires, précises, proportionnées et vérifiables.
Le greenwashing doit être combattu parce qu’il représente un frein à la transition écologique. Il sème la confusion dans l’esprit du public sur la réalité des efforts à entreprendre vers des modes de vie plus compatibles avec les limites planétaires. Il génère une concurrence déloyale vis-à-vis d’entreprises qui s’engagent en profondeur et communiquent de façon sincère et proportionnée. Il contribue aussi à la perte de confiance entre les publics et les organisations. C’est pour mieux lutter contre le greenwashing que la réglementation a évolué ces dernières années en France et en Europe.
Le greenwashing est encadré par des règles d’éthique et, de plus en plus, par des textes de loi. Comme dans les autres pays occidentaux, des règles déontologiques sont définies par les instances d’autorégulation publicitaire. En France, c’est la « Recommandation Développement durable » (2009, dernière version 2020)1 de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) qui précise les conditions d’usage d’une allégation environnementale : véracité, proportionnalité, clarté et loyauté. L’avis favorable de l’ARPP est obligatoire avant diffusion pour les spots publicitaires diffusés à la télévision ou sur les chaînes de vidéo à la demande ; il est optionnel sur tous les autres supports publicitaires (radio, affichage, insertion presse, réseaux sociaux, bannières web…).
Ajoutons que le « Guide pratique des allégations environnementales »2 du Conseil National de la Consommation (CNC), publié en 2023, présente les recommandations du CNC pour l’utilisation volontaire d’une quinzaine d’allégations environnementales pour éviter le greenwashing : bio, biosourcé, compostable, durable, écoconçu, naturel, recyclable… Après diffusion d’une publicité, le Jury de déontologie publicitaire (JDP) peut être saisi par tout citoyen ou toute organisation pour signaler des publicités non conformes. Il rend des avis publics non contraignants3. En cas de non-respect de ces règles déontologiques, les entreprises contrevenantes s’exposent à un risque d’image : publication d’un avis négatif du JDP, critiques dans certains médias ou sur les réseaux sociaux.
Du côté législatif, la lutte contre l’écoblanchiment repose avant tout sur l’interdiction des pratiques commerciales trompeuses en vertu d’une directive européenne de 20054 transposée en droit français dans le Code de la consommation5. Depuis quelques années, les autorités nationales et européennes adoptent des règles plus strictes pour réglementer les allégations environnementales et sanctionner le greenwashing : la loi « Anti-gaspillage pour une économie circulaire »6 [A], la loi « Climat et résilience »7 [B] ainsi que la directive européenne visant à « Donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique »8 [C] (qui devra être transcrite dans le droit français prochainement).
Concrètement, ce nouveau cadre juridique :
Ces textes sont contraignants : le non-respect peut entraîner des poursuites et des sanctions pénales et civiles très lourdes, notamment des amendes significatives. Les ONG de protection des consommateurs et de l’environnement n’hésitent plus à engager des contentieux et plusieurs affaires sont actuellement en cours devant les tribunaux français.
Depuis 2007, l’Agence de la transition écologique (ADEME) et l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) réalisent conjointement le « Bilan publicité et environnement ». Cette étude bisannuelle porte sur plusieurs dizaines de milliers de publicités diffusées en France, sur une période de quatre mois. Quelles sont celles qui utilisent des allégations environnementales ? Est-ce qu’elles respectent les règles déontologiques ? Les résultats permettent de suivre l’évolution du greenwashing publicitaire au fil du temps.
Ces 10 dernières années9, le pourcentage de publicités environnementales, c’est-à-dire celles qui utilisent un argument relatif à l’environnement, est relativement stable, autour de 3 %. Quant au pourcentage de publicités non conformes à la Recommandation Développement durable de l’ARPP, il fluctue entre 6 et 12 % selon les années d’étude. S’il ne se dégage pas de tendance à la hausse, signalons que ce taux de non-conformité est 50 à 600 fois supérieur à ceux obtenus dans les autres bilans thématiques de l’ARPP comme les comportements alimentaires (0,12 % en 2022) ou l’image et le respect de la personne (0,02 % en 2023). Ces mauvais résultats traduisent une connaissance limitée, une mauvaise compréhension ainsi qu’un manque de considération des règles déontologiques relatives au développement durable de la part des acteurs de la filière publicitaire en France (annonceurs, agences, régies…).
Par ailleurs, la grande enquête sur l’écoblanchiment réalisée en 2021 et 202210 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) nous apporte des enseignements complémentaires. Le périmètre de cette étude était plus large que le bilan ARPP-ADEME : les enquêteurs de la DGCCRF ont contrôlé les allégations environnementales de produits divers (cosmétiques, textiles, ameublement, jouets, denrées alimentaires, hôtellerie…) sur tous types de support (emballage, étiquette, site internet, réseaux sociaux, catalogue, vitrine, publicité en magasin…).
Sur les 1100 établissements contrôlés, un quart des établissements présentaient des anomalies. Ces anomalies correspondaient à la mise en avant d’allégations globalisantes, non justifiées, imprécises, ambiguës ou même contraires aux dispositions légales. De nombreuses allégations étaient susceptibles de tromper le consommateur. Les enquêteurs de la DGCCRF ont ainsi dressé 141 avertissements, 114 injonctions et 18 procès-verbaux pénaux ou administratifs. Selon cette étude, le taux de greenwashing monte donc à 25 %, lorsque l’on considère différents formats de communication commerciale, et pas uniquement les formats publicitaires (avec achat d’espace) comme pour le Bilan ADEME-ARPP.
Pour terminer, je tiens à souligner que la société civile accorde une attention de plus en plus grande à ces pratiques de greenwashing, considérées comme hautement préjudiciables à la transition environnementale. En témoignent les nombreuses interpellations sur les réseaux sociaux par des collectifs ou des individus qui agissent comme lanceurs d’alerte.
Ainsi, il est important de comprendre que le greenwashing ne se réduit pas au bon respect des règles, d’éthique ou de loi. Il est essentiel de prendre en considération la perception des différents publics : comment vont-ils réagir à tel ou tel message, en fonction de la manière dont il est formulé (texte, visuel et son) mais aussi en fonction de comment l’entreprise est perçue au regard des enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux ?
Dans la majorité des cas, les annonceurs et leurs agences tombent dans le greenwashing sans le vouloir. En effet, rares sont les entreprises qui cherchent à tromper volontairement le public : se faire épingler n’est jamais une « bonne pub » et le risque juridique devient de plus en plus significatif.
Le greenwashing est avant tout la conséquence d’une posture de communication inadaptée aux enjeux écologiques. Le ton triomphaliste et les formules globalisantes que l’on rencontre régulièrement traduisent un manque de compréhension et d’humilité face aux enjeux par les équipes communication et marketing (et leurs agences) et l’absence d’un réel dialogue avec les parties prenantes de l’entreprise.
Ce n’est pas parce que vous avez réduit les impacts négatifs de votre produit qu’il en devient « bon pour la planète » ou qu’il « protège l’environnement ». En réalité, il est simplement « moins nocif » ou « moins mauvais ». Et puis, comment votre entreprise est-elle perçue par le public ? Son secteur d’activité, son historique en matière environnementale ou sociale, les prises de parole de vos dirigeants ou de salariés… : tout ceci joue dans la crédibilité de vos propos et donc dans la perception du greenwashing.
À cela s’ajoute une méconnaissance générale du cadre déontologique et juridique s’appliquant à toute communication environnementale. Ainsi, quelques entreprises découvrent la « recommandation Développement durable » de l’ARPP lorsqu’elles se retrouvent dans le JDP. D’autres ne font pas de veille sur le sujet et n’ont pas formé leurs équipes à la « mécanique du greenwashing ». Pourtant, connaître le cadre, avoir en tête les erreurs classiques et mettre en place un processus de validation ad hoc permet de réduire le risque de greenwashing de façon significative.
Voici les erreurs que l’on retrouve le plus fréquemment :
La communication responsable est définie comme « une communication plus sensible aux enjeux écologiques, davantage à l’écoute des habitants de notre planète, qui s’interroge autant sur les contenus que sur la manière de les délivrer, et qui intègre la notion d’urgence »11.
Elle repose sur 4 piliers :
La communication responsable doit être capable de prendre ses responsabilités dans un contexte de transition écologique. Par conséquent, revoir la manière de communiquer, c’est d’abord repenser le modèle économique des entreprises, de la vente d’un produit à celle d’un service, de la possession vers l’usage, de la promotion du bonheur à travers la consommation à celle de la sobriété heureuse.
C’est aussi assurer la cohérence dans toutes les formes de communication : communication institutionnelle portée par un dirigeant, argumentaire des forces de vente en magasin, marketing d’influence sur les réseaux sociaux, réponse écrite à une réclamation, conférence du responsable RSE/Développement durable lors d’un événement professionnel… Il s’agit donc d’une décision stratégique qui nécessite un véritable engagement sur le long terme, qui s’opère au plus haut niveau de l’entreprise et qui devra mobiliser l’ensemble des équipes, des prestataires et des partenaires. Autrement dit, la mise en place d’une stratégie de communication plus responsable n’est pas l’affaire de la seule direction de communication.
En résumé, voici les principales étapes pour mettre en place une véritable stratégie de communication responsable dans une entreprise.
Au niveau de la direction générale, avec l’appui de la direction RSE, il convient de:
Au niveau de la direction et de la filière communication, il convient de :
Oui, les consommatrices et consommateurs peuvent agir au quotidien pour lutter contre le greenwashing et ses effets néfastes :
1 https://www.arpp.org/nous-consulter/regles/regles-de-deontologie/developpement-durable/
2 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cnc/avis/2023/Allegations_environnementales/guide_2023.pdf
3 https://www.jdp-pub.org/actualite/les-nouveaux-avis-du-jdp/
4 Directive n° 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32005L0029
5 Articles L. 121-1 et suivants. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006069565/LEGISCTA000032220947/#LEGISCTA000032227305
6 Loi AGEC (2020) et son décret d’application (n°2022-549)
7 Loi Climat et résilience (2021) et les décrets d’application (n° 2022-538 et 2022-539)
8 Directive Empowering consumers for the green transition (février 2024)
9 Le bilan le plus récent a été publié en juillet 2023 et l’analyse portait sur des publicités diffusées en 2022. https://presse.ademe.fr/2023/06/parution-du-11eme-bilan-conjoint-arpp-ademe-publicite-et-environnement.html
10 https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/bilan-de-la-premiere-grande-enquete-de-la-dgccrf-sur-lecoblanchiment-des-produits-non-0
11 ADEME, Guide de la communication responsable, ADEME Éditions, 2022, p.11
12 https://www.oxfamfrance.org/actualite/la-theorie-du-donut-une-nouvelle-economie-est-possible/
13 https://www.jdp-pub.org/deposer-une-plainte-relative-au-contenu-dune-publicite/