Laurent Babikian est directeur monde des marchés de capitaux du CDP. Il a débuté sa carrière en 1991 à la Banque Indosuez où il a travaillé sur les marchés financiers pendant 10 ans. En 2000, il a cofondé @fternext, un incubateur de start-up et a coaché des entrepreneurs pour accélérer leur croissance avant de créer Corcovado, sa propre société de conseil, pour laquelle il s’est installé au Brésil en 2007. Pendant son séjour au Brésil, il est devenu l’un des mentors d’Endeavor, une organisation internationale à but non lucratif visant à développer l’entrepreneuriat durable dans les pays émergents.
Laurent est membre du comité consultatif de l’indice Euronext Low Carbon 100 et du label français Greenfin géré par le ministère de l’environnement français. Il siège au comité de pilotage du Cercle de l’Expertise à Mission, créé pour accompagner les décideurs privés et publics afin de les aider à accélérer la transition vers une économie neutre en carbone et respectueuse de la nature.
Laurent est diplômé de l’IESE Business School de Barcelone, titulaire d’un executive MBA en management. Il est également titulaire d’un Magistère en finance de l’Université de Paris Dauphine.
Il est un fervent partisan du capitalisme responsable et est très actif sur Linkedin.
Les entreprises deviennent de plus en plus conscientes des risques majeurs auxquels le changement climatique les soumet, que ce soit au niveau réglementaire, logistique ou business.
Face aux conséquences du changement climatique, les entreprises de toutes tailles se voient contraintes de bien évaluer les risques auxquels elles sont soumises. Globalement plus de 3,600 entreprises ont rejoint la Science Based Targets Initiative (SBTi) en mettant en place des objectifs de réduction d’émissions couverts et approuvés par la SBTi en ligne avec 1.5°C ou bien Net Zero.
Nous sommes actuellement sur une trajectoire de 2,8°C/3,2°C alors que nous devrions être sur une trajectoire de 1,5°C. Une récente étude du CDP faite avec Oliver Wyman montre que le secteur privé mondial (4000 sociétés analysées avec les CDP Temperature Ratings) est sur une trajectoire de 2.7°C, l’Europe étant en tête avec 2.4°C en baisse de 0.3°C par rapport à 2021.
Toutefois, cela veut dire qu’il faut augmenter de façon substantielle le nombre d’entreprises alignées sur 1,5°C et accélérer la transition. Il est urgent que les entreprises engagent la chaîne des fournisseurs pour réduire l’impact de leur scope 3 et que les institutions financières changent radicalement leur manière de prêter et d’investir en alignant leurs portefeuilles d’actions et de dettes sur 1,5°C.
En 2021, plus de 13,100 organisations ont rapporté leurs données environnementales au CDP et notre analyse a révélé que seulement un tiers d’entre elles (4,002) ont un plan de transition climatique en place. De plus, moins de 1% (135) répondent aux 24 indicateurs clés (disponibles dans le questionnaire du CDP sur le changement climatique) qui font qu’un plan de transition climatique est crédible.
Mais le reporting de données environnementales ne suffit pas – il doit conduire à la responsabilisation et à la transformation, d’où la pertinence des plans de transition climatique, qui devraient faire partie de la stratégie globale de l’entreprise et qui devraient être soumis au vote des actionnaires.
Le changement climatique n’est plus seulement synonyme de risques mais devient aussi créateur d’opportunités. Levier d’innovations, il permet à la fois de pérenniser son activité et de se développer. Il est aussi un moyen pour les entreprises de se différencier de la concurrence.
Cet engagement se manifeste par la production de biens plus durables qui répondent aux nouveaux besoins des consommateurs et qui anticipent les évolutions réglementaires et aussi par la réduction des émissions carbone ou, a minima, de la consommation énergétique ou encore par l’adoption d’un prix interne du carbone.
L’optimisation des opérations et de l’exploitation des ressources est une étape essentielle vers la durabilité. La consommation mondiale d’énergie primaire est basée sur des combustibles fossiles tels que le charbon, le pétrole brut et le gaz naturel. Les matières premières fossiles ne sont pas seulement des ressources limitées ; leur transformation libère également d’importantes quantités de carbone. Les énergies renouvelables constituent ainsi une alternative naturelle et plus favorable pour l’environnement.
Face à la nécessité d’opérer une transition écologique des activités économiques, le déclaratif et les bonnes intentions ne suffiront pas. Pour générer de la confiance, et fidéliser les clients qui ne tolèrent plus le greenwashing, les acteurs économiques doivent dorénavant opter pour plus de transparence en communiquant sur les progrès qu’ils réalisent pour atteindre des objectifs environnementaux spécifiques, réalistes, mesurables et alignés sur la science.
De même, l’analyse des émissions de carbone d’une entreprise suppose de prendre en compte l’activité de ses prestataires de services et de ses fournisseurs. Il est donc important de se demander dans quelle mesure nos fournisseurs sont durables et de savoir dans quelles conditions leurs produits sont fabriqués et d’où proviennent leurs matières premières.
La transition écologique nécessite de réaliser des choix stratégiques pertinents. Le marché, à lui seul, ne saurait les orienter. Ils doivent être pilotés dans le cadre de politiques publiques cohérentes.
Notre modèle néolibéral cherche à maximiser les profits d’une seule partie prenante – les actionnaires – au détriment de toutes les autres y compris la nature. Notre théorie économique actuelle part du principe que la nature est gratuite et que ses ressources sont illimitées. Or, ces deux postulats sont faux, un PIB qui ne prend pas en compte le coût de la nature pour produire un bien ne veut plus rien dire.
Pour que nous puissions prospérer à long terme, notre économie doit tenir compte du coût des externalités négatives. Il est donc fondamental que nos marchés financiers intègrent les impacts environnementaux dans la valorisation des actifs afin que les montants d’investissement nécessaires puissent être alloués efficacement aux entreprises en transition. Nous avons aussi besoin d’une tarification appropriée des externalités négatives y compris un prix mondial du carbone qui soit contraignant afin d’atteindre la neutralité carbone. L’agence internationale de l’énergie recommande un prix de la tonne carbone de $250. Très peu d’entreprises feraient du profit si une telle taxe était appliquée.
Le changement est possible. Grâce aux nouvelles règles en matière de durabilité, l’Union Européenne exige des entreprises de rapporter leur impact sur notre planète en plus des risques pour les actionnaires. C’est ce qu’on appelle la double matérialité dont l’objectif est de minimiser l’impact négatif des entreprises sur l’environnement et la société.
A l’opposé, l’approche anglo-saxonne du reporting ESG développé par l’IFRS privilégie la notion de matérialité simple qui consiste à ne prendre en compte que l’impact du changement climatique sur le profit des entreprises, son objectif étant de maximiser la valeur d’entreprise.
Tant qu’il n’y aura pas d’harmonisation de ces standards au niveau international, il y aura de graves distorsions de prix sur les marchés ce qui n’est pas soutenable pour leur bon fonctionnement.
Toute entreprise devrait avoir un plan de transition crédible qui soit intégré à la stratégie globale et soit directement supervisé par le conseil d’administration avec des KPIs quantifiables et précis.
Par ailleurs, une transition écologique ne peut être réussie que si elle est juste socialement c’est-à-dire que le ruissellement doit se faire par le bas et non pas par le haut comme ce que nous avons vu durant la crise du covid où la création monétaire pléthorique de $ 14 trillions a permis aux marchés d’atteindre leur plus haut historique quand le PIB mondial était à -5% Apple, la plus grosse capitalisation boursière mondiale, valait à l’époque $3 tn soit plus que toutes les sociétés du CAC 40 réunies !