Avocate, ancienne ministre des Outre-mer, ancienne présidente du Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), première femme noire élue députée en métropole, Georges Pau-Langevin est adjointe de la Défenseure des droits.
Avocate au barreau de Paris, ancienne ministre de la Réussite éducative de 2012 à 2014 et ex-ministre des Outre-mer sous le quinquennat de François Hollande, plusieurs fois députée de Paris, George Pau-Langevin fête son année de présence au rang d’adjointe à la défenseure des droits, Claire Hédon. Comme vice-présidente du Collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité. Une double nomination qui couronne le parcours de militante active de cette Guadeloupéenne qui fut présidente du MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) de 1984 à 1987 et son engagement politique au Parti socialiste depuis plus de 40 ans.
Comment fonctionne le Collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité ?
Le collège est une manière pour l’institution de ne pas fonctionner seule, mais de se concerter avec beaucoup d’associations ou de structures. Pour la plupart des thèmes que nous avons à traiter, puisque le défenseur intervient sur des sujets très variés, nous consultons à la fois sur les grandes orientations et même sur les décisions précises que le défenseur est amené à prendre. En tant que structure de médiation, on est amenés à prendre peu à peu comme des « petits jugements ». Prenons le cas d’un réclamant qui vient nous dire : « j’ai été refusé par un grand médecin, un spécialiste et j’ai le sentiment que c’est parce que je suis à la C2S (Complémentaire santé solidaire, ex-CMU, Couverture maladie universelle) ». Dans un tel cas, nous procédons à une enquête pour interroger le praticien en question, afin de connaître les raisons de ce refus. Ensuite, nous regardons si dans sa clientèle figurent des patients bénéficiaires à la C2S et nous la comparons avec celle d’autres médecins du même secteur.
Si effectivement, il s’avère que dans le cabinet du praticien incriminé, il y a très peu de patients C2S, et que l’on découvre une réticence de sa part vis-à-vis de ces patients précisément, on lui écrit en lui signifiant que l’on constate une discrimination à l’encontre des pauvres, des gens qui sont à la C2S et en lui demandant une explication sur l’impossibilité, pour ces personnes, d’obtenir un rendez-vous chez lui. Soit ce praticien fournit des explications, soit il ne le fait pas. S’il se sent coincé, il peut reconnaître qu’il n’a pas bien agi et qu’il accepte d’avoir une solution amiable avec ces patients. Si cela ne suffit pas, on peut également soutenir le plaignant au tribunal. C’est un parcours classique chez nous. Autre exemple, nous allons bientôt nous pencher sur le cas de quelqu’un qui a changé de genre et qui, en l’espèce, est mis à la disposition d’un établissement pénitentiaire. Son incarcération doit-elle se faire dans le quartier des femmes ou dans celui des hommes ? Là aussi, nous demandons l’avis du collège.
Avez-vous l’impression qu’aujourd’hui, il est plus utile d’obtenir des petits jugements plutôt que de livrer bataille devant les tribunaux qui, en région parisienne notamment, sont particulièrement embouteillés et cumulent les délais à rallonge ?
Oui, tout à fait. Le défenseur des droits peut être un auxiliaire extrêmement précieux pour les tribunaux. La justice est encore plus en difficulté parce que des stocks de jugements attendent depuis des lustres, et ce parfois pour des petits contentieux. Vous avez des gens qui n’arrivent pas à obtenir la liquidation de leur retraite. Il y a des sujets où il faut prouver l’intention de nuire et cela induit des frais d’avocats importants, beaucoup de temps à consacrer pour, au bout du chemin, ne pas trouver de satisfaction. Alors que chez nous, la procédure est totalement gratuite. Il suffit qu’une personne signale le problème et dès cet instant, nous lançons notre propre enquête. On aboutit souvent à des solutions amiables, évitant ainsi le passage par le tribunal, les nombreux aléas et la perte de temps. Nous travaillons, par ailleurs, en liaison avec les parquets. Si une personne se plaint, par exemple, de violences policières, nous pouvons demander l’autorisation au parquet de faire une enquête. Cela peut être quelque chose de très positif pour le parquet, d’autant que les magistrats ne sont pas tous spécialistes des questions de discrimination et que nous travaillons avec des juristes qui connaissent bien le sujet. Avec nous, les plaignants n’ont pas un jugement, mais ils peuvent avoir une vraie satisfaction morale.
Quel volume de plaintes liées à la discrimination traitez-vous annuellement ?
Sur les 100 000 dossiers traités chaque année, beaucoup sont relatifs aux difficultés éprouvées face à l’administration. Un exemple courant ? Faire valoir ses droits à la retraite quand vous n’arrivez pas à la faire liquider. Le défenseur des droits peut vous aider. Des conducteurs qui s’épuisent à demander leur carte grise à l’administration, sans parvenir à l’obtenir. Ce genre de choses arrive fréquemment aujourd’hui ; comme les services concernés sont dématérialisées, bien des gens n’arrivent pas à trouver quelqu’un à qui s’adresser. Cela concerne la grande majorité des dossiers qui nous sont remis. Les plaintes pour discrimination à proprement parler représentent environ 5 000 dossiers. Nous considérons que c’est considérable. Il y a eu dans le passé une semaine où 70 % des plaignants, notamment des jeunes, ont expliqué avoir été victimes de discriminations ou témoins de discriminations. Je pense également que si les gens connaissaient vraiment leurs droits, on recevrait beaucoup plus de dossiers.
L’approche des questions de discriminations en France emprunte-t-elle désormais au modèle anglo-saxon ? Sommes-nous davantage sur le concept du bien-vivre et de la lutte contre les discriminations que sur la philosophie de l’intégration à la française en vogue à la fin du siècle dernier ?
Les mouvements antiracistes continuent évidemment à prôner le vivre ensemble. Mais nous, aux défenseurs des droits, ne sondons pas les cœurs, nous essayons d’apprécier les comportements objectifs. Avant de venir dans cette maison, je pensais beaucoup discrimination raciale, alors qu’au vu de la réalité émanant des dossiers, au sommet de la pyramide figurent les discriminations à l’encontre des personnes handicapées. Refus d’embauche et jamais de progression de carrière pour les handicapés. Et ma fonction m’a également permis de découvrir des réalités peu évoquées. Notamment celles des gens du voyage, des Roms. C’est une population qui est l’objet de préjugés très importants. Ces populations itinérantes ayant un mode de vie traditionnel sont chassées de partout. Elles ont le droit de se poser sur des terrains d’accueil qui sont en nombre très insuffisant et éloignés des centres villes. Je comprends très bien que les propriétaires de terrain, quand ils voient arriver les caravanes, veulent se préserver. Mais quand il n’y a pas assez d’endroits où les gens peuvent se poser, ils sont par conséquent toujours en infraction. Lorsqu’ils veulent acheter un petit terrain ou poser leurs caravanes de manière durable, ils ne peuvent pas le faire, ne peuvent pas percevoir les aides sociales, ni scolariser leurs enfants ni vivre décemment. Aujourd’hui, c’est la population la plus en difficulté dans notre pays.
La question de l’islamisme radical à la périphérie des grandes villes s’invite-t-elle dans vos dossiers ?
On ne traite pas cette question en tant que telle, mais elle est forcément dans le paysage. Parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup moins de plans de lutte contre les discriminations qui englobent l’aspect discrimination en raison de la religion ou de la nationalité. Les élus et même les associations avancent à pas de loup sur ces questions-là. Il y a des préjugés, mais aussi des réalités, à savoir la vague d’attentats qu’on a vécue sous le quinquennat de François Hollande. Par conséquent, cette forme d’appréhension des citoyens n’est pas forcément condamnable. Mais justement, on ne doit pas baisser la garde. Ce n’est pas parce qu’il y a des islamistes militants qu’on ne doit pas faire attention à ne pas discriminer en raison de la religion. Il s’agit de membres de la communauté nationale et par conséquent, il faut être vigilant à ne pas les exclure et à ne pas faire le jeu de ceux qui veulent séparer les musulmans du reste de la population.