David Jobin est président de Royalties, une agence de création et gestion de marque, et co-créateur de la marque Ecobranding. Il enseigne à Sciences Po.
Pouvez-vous présenter les grandes étapes de votre vie professionnelle ?
Bonjour, je suis David Jobin, et à mes côtés, voici Sylvain Boyer, nous sommes nés le même jour, avec vingt-cinq ans d’écart. Je suis associé avec Olivier Bontemps, nous avons créé l’agence Royalties avec Maurice Levy et le groupe Publicis en 2008.
Sylvain Boyer était jeune diplômé quand il rejoint Royalties au début de notre aventure. On a senti qu’il cherchait un passage vers le XXIe siècle.
La structure a grandi et les talents aussi, il y a eu un moment où chacun avait besoin de prendre plus d’indépendance. En 2016 nous avons racheté nos parts au groupe Publicis pour faire de Royalties une agence indépendante et Sylvain a souhaité aussi explorer d’autres structures et d’autres méthodes avant de créer la méthode ecobranding en 2017.
Depuis 2018 nous développons et enrichissons la méthode ecobranding avec Sylvain au sein de la structure royalties. En moins de cinq ans, la méthode ecobranding a été appliqué à un comité olympique, trois groupes du Cac 40, un éco-organisme, un incubateur de start-up, une crypto-monnaie et bien d’autres projets sont en cours.
Au cours de votre carrière, comment avez-vous découvert la RSE ? Comment vous l’êtes-vous appropriée ?
L’expression « raison d’être » est difficile à traduire en anglais, alors elle est peu traduite. Souvent, la version anglaise “notre raison d’être” devient “Our raison d’être”, et perd un peu de son sens premier en devenant un énième terme de novlangue.
Pourtant la raison d’être est devenue universelle et interprétable. Nous avions déjà, le “why” ou le “purpose”, mais la raison d’être a su s’imposer comme un outil conceptuel pour désigner le rôle des sociétés et des organisations dans la Société.
Notre premier contact avec une raison d’être fut justement sur la première raison d’être d’une entreprise en France. Atos était la première entreprise du CAC40 à ancrer sa raison d’être dans ses statuts à l’initiative de Thierry Breton. Nous avons proposé notre version Atos, singulière et chargée d’imaginaire. La version parue est plus sage et générale, pleine de vrai et de rationnel ; elle a été aussi précurseur d’une nouvelle dynamique des sociétés en France. Depuis la première raison d’être d’Atos, se sont aujourd’hui près de 100 entreprises qui ont inséré dans leurs statuts leur raisons d’être.
C’est une œuvre collaborative, ouverte et évolutive. La raison d’être se construit en consultant tous les êtres d’une entreprise pour entendre leur raison.
C’est souvent un exercice rassembleur, et parfois aussi, c’est un assemblage génial de mots qui s’envole vers l’avenir.
Au sein de l’agence Royalties, vous pratiquez l’éco-conception et l’éco-design. Que signifie ces mots-valises ?
L’écoconception est un terme très large qui va de la conception de coton-tige jusqu’au voyage dans l’espace. L’ecobranding reprend le processus scientifique de l’écoconception tout en tenant comptes des principes essentiels d’identité de marque que sont la visibilité et la reconnaissance. Avec l’ecobranding nous allions la performance écologique avec la performance visuelle.
Concrètement cela veut dire que nous analysons et mesurons l’impact environnemental de chaque ingrédient visuel d’une marque que sont les couleurs, les typos, les images, les logos, les interfaces… et nous les transformons pour que chaque acte de communication de la marque puisse limiter son impact carbone tout en maximisant son impact visuel.
Par exemple, avec Orange, toutes les publicités papier sont imprimés sur fond blanc pour réduire la consommation d’encre, et la plupart des contenus sur les réseaux sociaux d’Orange sont en noirs pour en limiter la consommation d’énergie sur les smartphones.
Car toutes les marques pour exister doivent communiquer, mais toutes ces communications sont aussi sources de consommation. Nous essayons simplement de limiter leur impact par la seule force de la création. C’est une toute nouvelle approche de la communication portée par la preuve.
Longtemps la communication responsable se contentait de tout peindre en vert, mais nous nous sommes posés la question de l’impact environnemental du vert dans sa consommation d’encre, de pigments, d’énergie. On a voulu savoir si le vert était littéralement vert ? En réalité, le vert est une des couleurs les plus toxiques qui existent et consomment deux fois plus d’encre que le noir.
Il y a une forme de paresse intellectuelle à faire du vert pour l’écologie, des tours-Eiffel pour représenter Paris, du rose pour les filles. Par l’étude de l’ecobranding, nous baptisons de nouveaux imaginaires et créons des nouveaux codes visuels commun nécessaire pour accompagner le monde face à ces nouveaux défis sociaux et environnementaux.
La publicité communique sur un produit, une attitude, une histoire, un style de vie, mais avec l’ecobranding nous transformons la RSE en territoire de marque.
Il y a quelques années, vous avez redessiné le logo de McDonalds dans le but de réaliser des économies. Comment cette politique se poursuit-elle sur le plan digital ?
Cette campagne nous a totalement dépassé, et aujourd’hui elle nous poserait presque un problème en résumant l’ecobranding à une action de parent pauvre lowcosté en logo au trait sans couleur.
Oui le logo sans couleur est parfois un progrès quand il s’inscrit dans un territoire de sens, de métier et de bénéfices collectifs, ce que Sylvain a créé pour Citeo, l’éco-organisme en charge de la collecte et du recyclage en France.
Lorsqu’on a commencé exposer les grands principes de l’ecobranding initié en 2017, il a fallu le théoriser avec des marques exemplaires qui communiquent intensément partout et pour tout public, avec de l’impact : McDonald’s était le modèle idéal, à la fois connu, aimé et vilipendé. L’idée était de prouver que par un simple changement d’identité visuelle les marques qui communiquent le plus pouvaient faire des économies considérables d’encres, de papiers, d’énergies, mais aussi des économies financières non négligeables, l’encre étant un des liquides les plus chers au monde, et avec l’inflation que nous connaissons en ce moment tous les prix des consommables explosent, l’énergie, le papier, l’encre devient un bien rare, cher et symbolique : elle la parole, la mémoire et le savoir, on en demandait pas tant !
La campagne ecobranding de Sylvain ne portait pas que sur un simple logo qui consomme moins d’encre, mais sur tout l’aspect du territoire de marque que sont les typographies, les couleurs, les interfaces, les icones… pour consommer moins. Le langage des réseaux sociaux étant très limité, l’ecobranding n’avait été finalement référencé qu’au simple fait du changement de logo.
Pour autant cette campagne eut un succès incroyable. Elle a été partagée des millions de fois sur les réseaux sociaux et à travers de nombreux grands médias (CNN, RTL, CHINA SOHU, FORBES, GQ, EL PAIS etc…). Aujourd’hui nous recevons de nouveaux talents qui sont formés à l’ecobranding au sein de leur école de communication, l’ecobranding nous a complètement dépassés il est presque devenu un bien commun.
… au point d’investir le champ numérique. Quelles réalisations concrètes permet l’ecobranding digital ?
Quelques mois après notre première campagne ecobranding, Sylvain avait observé que l’aspect digital qu’il abordait de l’ecobranding était mal identifié.
Il décida de prototyper tout une interface utilisateur selon ses principes d’ecobranding en digital. L’interface proposé était sur fond noir, rappelons qu’en 2017 toutes les interfaces étaient sur fonds blancs. Sylvain avançait que la couleur noire utilisait beaucoup moins d’énergie sur les écrans OLED que la couleur blanche. Pour le prouver il avait filmé deux téléphones, l’un avait un fond noir l’autre un fond blanc, la vidéo « prouvait » avec cette méthode un brin archaïque, que la batterie de téléphone avec fond blanc se consommait plus rapidement que sur le fond noir.
Ce principe d’interface ne se réduit pas au simple fond noir, on le voit comme première étape d’une approche globale d’interface sombre, sur différents écrans et via différentes boutons, icones, images. Un magazine réputé de la Silicon Valley, Fast Company, lui avait consacré un article en baptisant ce principe d’interface fond noir le « dark mode » et conclu son article par « ne soyez pas surpris si d’autres manufactureurs utilisent ce principe par la suite ».
Un an plus tard Google présenta son interface dark mode pour limiter la consommation d’énergie, puis finalement ce sont toutes les entreprises californiennes qui ont adopté le dark mode design dont l’origine est une innovation française.
Bonne nouvelle ! Quels sont les autres avantages de l’ecobranding ?
D’autres vertus de l’ecobranding, outre le bénéfice environnemental, ce sont les effets de bords ou conséquences collatérales. Il y a évidemment le bénéfice économique, mais il y aussi l’accessibilité et le bénéfice sur la santé visuelle qui sont très important dans l’ecobranding. Car en limitant la lumière sur les écrans nous limitons l’acuité visuelle. Ces principes de santé et d’accessibilité font intégralement parties de la méthode ecobranding et sont sources de créations nouvelles.
Lorsque le nouvel incubateur Futur4care consacré à la santé numérique nous a demandé de concevoir son identité de marque, nous avons conçu une identité qui soit saine pour l’environnement mais aussi saine visuellement en supprimant tous les couleurs bleus, et en utilisant un bon ratio de contraste de couleurs pour une lisibilité qui suit les standards internationaux d’accessibilité.
L’un de vos projets phares est lié aux Jeux olympiques de Paris 2024. Qu’avez-vous prévu pour le logo de cet événement planétaire ?
Quand Sylvain est venu nous présenter la méthode Ecobranding mais aussi toutes les difficultés qu’il rencontrait on a eu l’envie de l’aider car on est convaincu par le projet et la force d’inspiration pour créer un nouveau modèle de marque. L’association de notre agence Royalties avec la pensée ecobranding devait naitre d’un coup d’éclat pour prouver l’efficacité de la méthode, en gros pour que ça marche il fallait voir grand, et donc viser une très grande marque : c’est à ce moment-là que les JO de Paris nous ont offert la plus belle scène de la plus belle marque : universelle, inclusive, festive, vecteur de progrès multiforme, et s’installant à Paris. On a tenté, on a réussi, on ne boude pas ce plaisir.
Ce fut notre première compétition avec l’ecobranding et notre premier budget remporté.
Sur le papier rien nous prédestinait à gagner. Nous sommes une petite entreprise qui candidate avec l’ecobranding qui est une méthode nouvelle, et en proposant un signe très engageant qui est le visage d’une femme.
Mais finalement, cette audace, cette liberté, la sobriété de l’ecobranding est ce qui a séduit le comité olympique. Cette identité ne répondait à aucun code établi, Sylvain en dessinant l’emblème et la typographie n’a jamais recherché à faire beau mais à être au plus juste. Nous voulions proposer une nouvelle image de Paris au monde, qui soit plus égalitaire et plus inclusive.
Toute la conception de la marque Paris 2024 a été conçue suivant les principes de l’ecobranding. Un emblème léger, qui consomme peu d’encre, une typographie qui limitent la consommation de papier et d’énergie sur le digital, une interface sur fond noir pour préserver la consommation des batteries de téléphone.
Et puis il y a une forme d’héritage notamment dans la typo très Art déco, et par la coupe à la garçonne qui fut un symbole d’émancipation féminine.
Dessiner un emblème olympique pour 2024 c’est par définition dessiner l’avenir. On conçoit un signe pour un événement qui se tiendra dans quatre ans. L’Olympisme c’est le futur par excellence, il faut faire abstraction des tendances éphémères prendre des risques pour dessiner une vision d’avenir qui n’existe pas encore.
Il faut sentir et ressentir en quoi ce symbole olympique nous interroge profondément. On n’étudie pas un symbole pour lui-même, c’est un outil pour voir, un levier pour accéder à d’autres choses. Derrière le symbole il y a une réalité, des idées, un imaginaire.
Justement, que signifie le choix d’un logo représentant un visage de femme ?
Choisir un visage féminin n’est pas rien. Surtout aujourd’hui. L’icône féminine a quasi disparu de notre société sauf dans l’imagerie de la beauté ou son icone est caricaturalement omniprésente dans l’équation stéréotypale « femme = beauté ». La figure féminine sacrée, pour sa nature plus grande que l’individu en le projetant dans des lignées pluri-générationnelles. Sylvain en travaillant sur un symbole féminin pour Paris 2024 s’est plongé dans les figures féminines depuis le féminin des premières civilisations jusqu’à la faible représentation féminine des marques modernes qui tend à se désexualiser à l’image du logo de Starbucks qui se censure de tout attribut féminin.
Nous avons confié une reproduction du visage de Paris 2024 chez les FEMEN à Paris pour préserver l’authenticité de ce symbole.
Le visage féminin de Paris 2024, aussi simple et sobre soit-il n’a laissé personne indifférent, au point de devenir le rebranding le plus important de l’année selon les magazines Creative Review et Design Week. Le film reveal du logo a été vu plus d’un million de fois, ce qui en fait l’un des films les plus vus de toute la chaine youtube de Paris 2024, et ce avec zéro achat d’espaces publicitaires. Il y a eu en moins de 24h plus de 500 articles de presses dans le monde qui ont partagé ce logo, ainsi que des associations féministes à l’instar de la Ligue du Droit international des Femmes qui publia un communiqué de presse titré « M. Estanguet (président de Paris 2024), soyez à la hauteur de votre logo. »
Sur les réseaux sociaux, chacun y est allé de son propre avis, les plus conservateurs ont regretté la bonne vieille Tour Eiffel, les plus progressistes ont salué le symbole, les plus romantiques l’ont aimé tout simplement.
Mais le résultat est qu’un an après la révélation du nouvel emblème au visage féminin, les jeux de Paris 2024 ont annoncé qu’ils seraient les premiers jeux paritaires de l’histoire.
Suivant cet exemple, un simple logo peut-il influencer l’environnement éthique d’une marque ?
Chaque sujet Ecobranging nourrit la méthode. Nous trouvons de nouveaux problèmes donc des solutions nouvelles. Du premier ecobranding avec Citeo, nous avons fait évoluer la méthode grâce aux marques qui nous font confiance. Orange, Paris 2024, Citeo, Atos, se sont eux qui font évoluer l’ecobranding, et demain la méthode évoluera avec de nouvelles marques.
Il y un débat sur qui doit porter la responsabilité du changement climatique. Est-ce le rôle des individus ou des entreprises (privé et public) ?
Mais quand la marque prend la responsabilité de ce changement, elle transforme toute la chaîne d’expérience de l’entreprise jusqu’au comportement de l’individu.
Quelles sont les perspectives futures de l’ecobranding ?
En fusionnant la RSE et la raison d’être dans le marketing et l’expérience-client, on dira de nous que nous avons les yeux plus gros que le ventre…
Nous l’ambition romantique de créer un nouveau modèle de marque, plus utile qu’un gros logo et une bonne publicité : on sera probablement jeté dans la Seine, lestée de nos rêves, mais on aura réussi si on fait évoluer les mentalités au nom de la marque ecobrandée.