Anthony Babkine est co-fondateur de Diversidays, association d’égalité des chances dans le numérique, ancien directeur adjoint de TBWA\Corporate, directeur du MBA en communication digitale et chroniqueur sur BFM Business.
Quatre ans après avoir créé avec Mounira Hamdi, spécialiste dans le marketing et la communication digitale comme lui, Diversidays, une association pour l’égalité des chances dans le monde de la Tech et les métiers numérique, Anthony Babkine continue de se battre pour que cessent les discriminations en tous genres au sein des entreprises. Depuis ses débuts, cette association a déjà accompagné 3000 personnes pour qu’elles puissent prendre leur envol en entreprise sans être discriminées avec en bandoulière, la volonté d’indiquer que l’avenir professionnel passe par la maîtrise des outils de la Tech et compétences numériques…
Chaque année, votre association tient un forum économique et social au mois d’octobre sur la question de la diversité en entreprise. Qu’est-il ressorti de l’édition 2021 ?
Comme les éditions précédentes, ce forum a dressé son propre état des lieux, cette année avec le soutien de PwC et Occurrence. Les discriminations en France restent un fléau majeur dans le cadre du recrutement dans les entreprises. Lors de ce dernier forum, nous avons dévoilé différentes données sur la base d’une étude sur la mesure de la diversité et de l’inclusion en entreprise.
Il en ressort par exemple que 48% des salariés français ont déjà vécu ou assisté à une situation de discrimination dans le cadre de leur travail. C’est un chiffre qui doit nous interpeller car c’est la preuve que la discrimination est un problème qui concerne directement tous les salariés français. Cette étude nous indique que le problème vient souvent du manager. Certains recrutements sont marqués par des considérations d’origines, sociales, culturelles, d’âge, de genre… Il faut bien noter qu’au quotidien, certains managers privilégient les personnes qui leur « ressemblent » plutôt que les personnes « différentes » donc il y a urgence à casser les biais discriminants et former massivement les collaborateurs aux pratiques de recrutement et management inclusif.
On remarque ces dernières année que les politiques de diversité et d’inclusion sont devenues plus centrales avec des budgets en hausse sensible pour apporter les bonnes réponses, changer les pratiques. Mais paradoxalement, quand on interroge les collaborateurs sur ce qu’est la diversité ou l’inclusion, beaucoup ne savent pas à quoi cela fait référence. La pédagogie à toutes les échelles de l’entreprise et une stratégie globale autour de ces sujet D&I seront déterminantes à l’avenir.
Dans l’état des lieux que vous avez dressé lors de votre dernier forum, le manager de proximité est perçu comme ayant un rôle ambivalent pour 21% des sondés et 86% des actifs souhaitent que les lignes bougent. Vous avez présenté cette étude à Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre et chargée de l’Egalité entre Hommes et Femmes et de la Diversité. Comment a-t-il été reçu ?
La ministre a salué le travail de recherche et d’écoute des dirigeant.es autour de ce sujet. Cet état des lieux fait globalement la synthèse du niveau de maturité des entreprises françaises autour de l’impact des stratégies de diversité et d’inclusion. Il en ressort qu’il nous faut globalement mieux mesurer les efforts et poser une stratégie des moyens et résultats autour des politiques de D&I. La ministre Elisabeth Moreno est une interlocutrice remarquable sur ce sujet car elle s’est emparée de cette problématique dès sa prise de fonction. Elle-même née en Afrique, femme noire ayant grandi et fait face à la discrimination dans son parcours professionnel, elle est très sensible à ces questions. Elle suit avec beaucoup d’attention les travaux et actions de Diversidays. Cette dernière est également consciente que ce qui a été fait ces cinq dernières années pour les quotas pour les femmes au sein des conseils d’administration ou des directions d’entreprise a fonctionné. Manifestement, il faut encore en passer par la loi pour que les lignes bougent. L’index Diversité sera une avancée importante sur les questions de lutte contre les discriminations en entreprise.
Dans les recommandations que vous préconisez, il y a toujours celle qui vise à faire du numérique un ascenseur social.
Aujourd’hui, nous partons d’un constat assez simple : un tiers des nouvelles offres d’emploi en France sont directement liées aux métiers numériques, il y a donc un enjeu certain à faire connaître ces métiers, à expliquer comment s’y former. On parle ici d’une famille de 900 métiers. Souvent, on cloisonne ces derniers à quelques métiers de la Tech qui demandent cinq ans d’étude et qui nécessitent de passer par une école d’ingénieur.e alors qu’il existe aujourd’hui beaucoup de formations qui, même sans le bac, permettent de se former à une flopée de métiers. Il suffit de regarder l’éventail des formations labellisées par la Grande Ecole du Numérique, on en dénombre pas moins de 700 sur le territoire national. Faut-il encore que celles et ceux qui peuvent en bénéficier en connaissent les débouchées, les bénéfices et bien d’autres. Notre rôle est d’aider toutes les personnes sous-représentées dans ces métiers à se projeter et leur donner les moyens d’y aller.
Vous pensez aux codeurs justement ?
Oui, c’est souvent le code qui revient en ligne de fonds mais pas seulement. On parle aujourd’hui de 80 000 offres d’emploi liées à l’économie numérique qui cherchent preneur, une donnée en constante augmentation. Dans le numérique, on parle en France de 210000 emplois à pourvoir dans tous les métiers du secteur d’ici à fin 2022. Mais la plupart de ces métiers sont méconnus, que ce soit pour le digital marketing, le community management sans oublier les nouveaux métiers autour du e-commerce. Sur tous ces sujets, il y a un gros problème informationnel à régler. Ces métiers restent largement méconnus du grand public.
De notre coté, nous avons pris notre part pour informer et pour communiquer sur ces opportunités. Nous avons lancé un programme qui s’intitule « Déclics numériques » qui aide à se projeter vers ces métiers, à les comprendre, à trouver les bonnes formations qui y conduisent, à savoir quelles sont les entreprises qui recrutent dans le secteur. Déjà 3000 demandeurs d’emploi sous-représentés dans la Tech ont pu bénéficier de notre programme d’accompagnement dans 7 régions de France avec Pôle emploi, l’Agefiph, Google, la FrenchTech et beaucoup de grandes entreprises de la Tech.
Vous mettez également un point d’honneur à fonctionner par cooptation. Vous voulez « ramener » les gens qui sont trop éloignés du numérique ?
Oui c’est cela ! Ouvrir la porte de la Tech à des talents qu’on ne voit pas suffisamment et qui ont le potentiel. Aujourd’hui, les métiers de la Tech sont victimes de caricatures. Le stéréotype du « No life » reste encore trop central : un jeune homme, travaillant seul dans sa chambre et sans relation sociale. Nous devons collectivement nous atteler à faire briller ces métiers d’avenir. Montrer leur vrai visage, leur potentiel. De plus, ces métiers sont souvent en CDI, bien payés et permettent d’obtenir des responsabilités parfois importantes sans avoir fait une grande école. La majorité des métiers numériques sont ouverts sur les autres et se passent en équipe. Notre travail au quotidien est aussi de mettre des professionnels auxquels Monsieur et Madame tout le monde peuvent s’identifier parce qu’ils n’ont pas tous fait de grandes écoles ou qu’ils cassent les idées reçues autour de ces métiers. De professionnels en situation de handicap à des personnes aux reconversions professionnelles réussies après 45 ans… Bref, montrer des rôles modèles qui cassent les codes. Car on se projette davantage dans un métier lorsqu’on s’idenfie à quelqu’un qui nous ressemble. En somme, nous travaillons aussi à montrer des gens très divers qui ont réussi à prendre leur place.
Venons maintenant à votre histoire personnelle. Vous étiez deux à créer Diversidays en 2017, Mounira Hamdi et vous-même. Vous étiez spécialisés dans le marketing et la communication digitale. Quel a été le déclic pour créer cette association ?
Le déclic vient de nos trajectoires personnelles. Avec Mounira, nous venons tous les deux du 91, nous avons tous les deux fait nos études dans le 91. Tous les deux connus quelques embûches. Les métiers du numérique ont été, inconsciemment pour nous, des ascenseurs en termes professionnels. Nous avons aussi assez rapidement eu des opportunités professionnelles sur le sujet puisque nous avions rédigé nos mémoires de Master 2 sur des sujets prospectifs en 2011 (la réputation numérique des personnes et entreprises). Nous avons réussi à convertir ces deux thèses en ouvrages chez Eyrolles et Dunod. Une occasion de nous faire, très jeune, une place de choix dans le monde de la Tech.
Très vite, nous nous sommes retrouvés au cœur d’un métier qui était en plein boom – la communication et le marketing digital – et nous avons été chassés. Mounira est dans le champ entrepreneurial (elle développe son agence depuis bientôt 10 ans) et moi plutôt dans le champ des agences de conseil en communication. Nous nous sommes vite rendu compte à quel point notre expertise en communication digitale avait été un levier professionnel. Nous sommes arrivés au bon moment sur le marché du travail avec des compétences très recherchées. A cette époque, nous lançions des conférences (Labcom), nous prêchions la bonne parole autour du digital, de ses perspectives et opportunités… En observant les experts du secteur, nous nous sommes rapidement rendu compte à quel point il manquait des femmes et quand il y en avait, c’était souvent les mêmes profils qui revenaient : plutôt parisiennes, CSP +, diplômées de grandes écoles. Nous voulions alors contribuer à rendre visible des profils sous les radars car nous ne trouvions finalement très peu de diversité dans les intervenants.
En 2017, nous décidons de lancer un 1er événement nommé Diversidays pour mettre en scène 7 rôle modèles de la Tech qui cassaient les codes. Le 27 novembre 2017, je me suis pris une « gifle » et je me suis dit que c’est avec des talents des territoires que j’ai envie de travailler, qu’ils viennent des quartiers ou zones rurales, qu’ils soient en situation de handicap ou discriminés pour 1001 autres raisons. Avec Mounira, nous avions envie de partager notre savoir faire , notre énergie, avec des gens qui ont du potentiel, mais pas toujours les codes, pas toujours des réseaux, qui n’ont pas le jargon « Tech parisienne » et le franglish qui va avec, mais qui peuvent apprendre et déjouer les pronostics.
On ne voulait pas être prisonniers des écosystèmes particuliers, dans les incubateurs, grandes écoles.. Il y a un enjeu majeur de créer des ponts, cela fait maintenant 4 ans que nous faisons cela au quotidien. Nous avons presque accompagné 3000 personnes grâce à notre équipe de bénévoles et partenaires. Nous prenons énormément de plaisir à aider les gens, les mesures que nous faisons autour de nos actions prouvent que nous sommes utiles alors nous avons décidé de poursuivre notre changement d’echelle. Aujourd’hui, 12 partenaires corporate institutionnels et une équipe de dix personnes s’activent au quotidien partout en France pour faire tourner nos programmes d’égalité des chances. Pour les demandeurs d’emploi, nous avons le programme DéClics Numériques, pour les entrepreneurs le Leadership program à Evry-Courcouronnes, Saint-Ouen et Toulouse (avec la FrenchTech Tremplin), mais également le mouvement TechYourPlace pour les startups.
Mais aussi plein d’autres actions et contenus pour faire bouger les lignes : notre annuaire, nos études et bientôt, notre finale annuelle à l’Olympia, le 2 décembre prochain.